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La révolte égyptienne à la croisée des chemins

par Kharroubi Habib

La rue égyptienne refuse les réponses données par Moubarak à sa révolte. Elle y voit, à juste titre, une opération destinée à sauver le système dont elle ne veut plus et à ménager une sortie honorable pour Moubarak dont elle réclame le départ.

Après avoir «démissionné» le gouvernement en place, le président contesté a chargé le général Ahmed Chafik d'en former un nouveau et nommé le chef des services secrets égyptiens à la vice-présidence de la République. La désignation de ces personnalités aux deux postes clés de Premier ministre et de vice-Président est tout simplement l'indice que Moubarak, l'armée et probablement les Etats-Unis ont convenu d'un scénario dont la réalisation sauvegarderait leurs intérêts respectifs. En effet, s'il s'impose, ce scénario permettra à Moubarak de se retirer du pouvoir à brève échéance sans être contraint à une fuite à la sauvette du style de celle de son confrère en dictature, le Tunisien Zine El Abidine Ben Ali.

Pour l'armée, cette passation de pouvoir qu'opérera Moubarak au profit des deux généraux n'occasionnera pas le vide institutionnel dont elle redoute les conséquences sur un régime dont elle est l'épine dorsale. Pour les Etats-Unis enfin, elle est la garantie que le pouvoir en Egypte sera exercé par une équipe acquise à l'alliance stratégique scellée entre les deux pays du temps de Sadate et respectée par Moubarak.

Mais pour que cela se passe comme échafaudé par les trois parties ayant convenu du montage, il faut que cesse la révolte de la rue. Or, malgré l'instauration du couvre-feu, le déploiement de l'armée et la menace par celle-ci de réprimer l'agitation populaire, le peuple égyptien continue ses démonstrations de rejet et de Moubarak et des «changements» auxquels il a procédé.

L'on est maintenant au point où la confrontation risque de devenir inévitable entre l'armée et les protestataires. Pour qu'elle n'apparaisse pas pour une répression exercée sur la population, ceux du côté officiel sont décidés à en finir avec la révolte populaire et s'ingénient à créer un climat sécuritaire qui légitimerait auprès d'une partie de la population et internationalement une intervention «musclée» de l'armée contre les manifestants. Ne sont pas en effet «spontanées» l'entrée en action de «bandes de pilleurs», les opérations de saccage de bâtiments publics et de propriétés privées et surtout l'évasion d'un millier de prisonniers, dont des détenus islamistes réputés avoir pris part à des opérations terroristes. Le tout se produisant aux yeux et au nez d'un service d'ordre policier et d'une force armée omniprésents sur le terrain.

Le but manifeste visé est de casser la solidarité dans la révolte entre les couches moyennes de la population et le petit peuple et réduire ainsi la portée et la signification du mouvement qui secoue le pays. Si, par peur du chaos sciemment programmé, cela fera renoncer aux premières de poursuivre le combat pour la chute du régime, les architectes du montage de survie de celui-ci auront partie gagnée.

L'Egypte alors, au prix d'un ravalement superficiel de ce régime, retombera dans les affres d'une dictature «soft» garantissant les richesses et privilèges d'une minorité et ignorante de l'effroyable misère dans laquelle croupit l'immense majorité du peuple égyptien.