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Les mêmes causes ont les mêmes effets

par Kharroubi Habib

Après avoir décrété que les jeunes émeutiers ont été mus par «des instincts revanchards», le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales a remis une couche en considérant qu'ils sont «extrêmement nihilistes et pessimistes». A qui la faute si ces jeunes sont ce qu'il a dit être? Pour Ould Kablia, c'est parce qu'ils ont grandi en plein terrorisme qu'ils cultivent ces sentiments et penchants.

 Il est probable que le vécu de la période du terrorisme a marqué l'esprit et la conscience des jeunes qui en ont tiré des enseignements et conclusions sur lesquels ils ont basé leurs comportements. Leur «nihilisme et pessimisme» ont néanmoins d'autres raisons d'être qu'Ould Kablia élude parce qu'elles mettent en cause le système et sa génération de dirigeants à laquelle il appartient. Plus que ceux qui les ont précédés, les adolescents d'aujourd'hui sont victimes des désastres cumulés dont la génération du ministre de l'Intérieur s'est rendue coupable depuis l'indépendance et dont eux payent au prix fort les conséquences.

 S'ils aiment «toutes choses qu'ils ne sont pas en mesure d'acquérir autrement que par le vol, par la contrebande, le trafic de drogue, qu'ils ne trouvent pas de dérivatif dans la musique, le sport, les voyages et que leur univers c'est la rue et le quartier», ce n'est pas parce qu'ils sont nés marqués par des ADN qui les prédisposaient à ce que le ministre de l'Intérieur a décelé en eux. Ils sont nés et vivent dans une société à laquelle la génération ayant confisqué le pouvoir depuis l'indépendance a imposé des valeurs et des normes haïssables. Celle de la quête de l'argent facilement et malhonnêtement acquis. A cette aune, les jeunes émeutiers qui ont pillé et cassé sont-ils plus réprouvables et condamnables que ces responsables et hauts fonctionnaires qui ont bâti leurs fortunes colossales par la corruption et le détournement?

 Oui notre jeunesse est habitée par le désespoir. Ses révoltes sont autant d'appels au secours. N'y voir que ce que le ministre de l'Intérieur a voulu voir est le pire des aveuglements. Concédant à Ould Kablia que l'Etat a construit «stades et piscines» pour ces jeunes. Mais est-ce tout ce que ces jeunes sont en droit d'attendre quand pour le reste il leur faut subir l'injustice sociale, la hogra, le chômage et la mise à l'écart des affaires du pays

 La violence a laquelle se laisse aller la jeunesse algérienne ne lui est pas spécifique. Les mêmes causes ayant les mêmes effets, là où la jeunesse est envahie par le désespoir et se révolte l'on assiste aux mêmes scènes de violence destructrices que celles que vient de connaître notre pays. La jeunesse tunisienne que notre ministre de l'Intérieur devait certainement considérer plus «civilisée dans sa colère» a elle aussi fait preuve de violence. Il en a été de même en Grèce, et le sera partout où les conditions de vie atteindront le seuil de l'insupportable.

 Ould Kablia est assez honnête homme pour ne pas admettre que la colère de la jeunesse algérienne se nourrit du constat de l'immense gâchis engendré par la mauvaise gouvernance qui se perpétue depuis l'indépendance. Là est la véritable cause que cette jeunesse soit devenue «extrêmement nihiliste et pessimiste». Quand un jeune ne voit poindre aucune perspective, il ne faut pas lui demander de positiver et encore moins d'avoir du respect pour la société dans laquelle il vit.