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Le Maghreb United applaudit par les pieds

par Kamel Daoud

Le Maghreb peut être construit avec les têtes, les mains ou les pieds. Et puisqu'il est inutile de revenir sur l'UMA, le Maghreb des régimes ni de remonter vers le Maghreb de Messali et d'Abou Elkacem Echabi, il reste le Maghreb des pieds. Avant-hier, dans les cafés algériens, les Algériens avaient soupiré de déception lorsque l'équipe de foot de la Tunisie a été éliminée de la CAN. Les Algériens voulaient vraiment que ce pays d'à côté soit gagnant, et à la place de l'ex-Egypte. Entendu sur Nessma TV de la bouche d'un Algérien «nous voulons une finale Algérie/Tunisie et un partage en deux de la coupe». C'est dire qu'un Maghreb est en train de naître et il naîtra sous les nez cassés des petits dictateurs de la région et de leurs éternuements cycliques les uns sur le visage des autres. Un chanteur de rap français d'origine algérienne l'affiche sur son tee-shirt avec l'expression qu'il dit provisoire de «Maghreb United». Messali n'aurait pas fait mieux. D'où nous revient donc cette géographie ?

 Pour la fable, c'est du Soudan et de la rencontre Algérie/Egypte et de la crise de fascisme arabo-centriste des Egyptiens. Cet ex-pays frère a même réussi ce que le Nassérisme n'a fait que rêver: réunir des pays par leurs peuples et pas par leurs pouvoirs et colonels putschistes ou rois piteux. C'est dire que tout se joue avec des peuples et des images et pas avec des Etats et des discours. La chaîne Nessma TV a réussi ce que n'ont pas réussi les chefs d'Etat et la haine des médias égyptiens soude le Maghreb avec moins de ridicule que les télégrammes de félicitations pour quelques vagues anniversaires officiels. Qu'est-ce que donc ce Maghreb United ? Pas encore une géographie mais déjà un début d'histoire. Une sorte de ferveur populaire, d'ovations de plus en plus cycliques et de retrouvailles par dessous les lignes Morrice politiques.

 Tout ce qu'il faut aujourd'hui pour que se lève le jour, c'est de ne pas polluer ces rencontres avec sa crasse politique, les quelques jalousies obliques et des rappels de guerres de sables. «Nous, enfants d'octobre, nous n'avons que deux projets comme horizon vital: la démocratie et le Maghreb», dira un collègue au chroniqueur. Est-ce un rêve que de rêver avec les pieds de nos joueurs de foot d'un Maghreb uni autrement qu'avec de la salive ? Oui, mais c'est déjà un rêve pour nous qui n'en avions plus. Se lever le matin à Tanger pour déjeuner à Alger et dormir à Djerba sans faire un grand détour par Madrid ou Paris, ni s'user le ventre à ramper sous les miradors, ou s'user les yeux à lire des journaux qui se mordent les mollets comme une meute.

 Comme à l'époque où Messali n'avait même encore sa barbe, un Maghreb est en train de naître dans les ovations des cafés maures et c'est là où commencent chez nous les drapeaux.