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Virtuellement disparus

par K. Selim

Une pétition des usagers algériens mécontents d'Internet sur... Internet. Cela semble très moderne mais... vain. Dans un pays où l'on n'est jamais parvenu à créer une association de consommateurs qui atténuerait les voies de faits exercées par les brigands du commerce à tous crins qui imposent n'importe quoi et à n'importe quel prix, les Algériens qui consomment de l'Internet paraissent encore plus virtuels que ceux qui découvrent que les légumes sont chers longtemps avant le Ramadhan et bien longtemps après. Alors que les responsables du secteur tiennent un discours très raisonnable sur l'importance primordiale des TIC dans l'avenir de l'économie et dans l'acquisition du savoir, la réalité est plutôt médiocre.

 Quand on est abonné chez un fournisseur - qui n'a pas disparu - et que le temps qu'il faut pour ouvrir sa boîte électronique est suffisant pour faire deux omelettes et finir son café noir, on n'est pas à la fête. Quand pour avoir une connexion correcte - ce qui est différent de «bonne» ou «d'excellente» - il faut s'astreindre au «service de nuit», on peut dire que rien ne va plus.

 Les pétitionnaires qui protestent contre une connexion ADSL au débit souvent bien inférieur au vieux 15-15 - qui sert toujours - sont bien entendu dans leur droit. Ils ont payé un service qu'on ne leur fournit pas. Le problème est qu'ils ont beau signer la pétition, l'écho est très incertain. Eux, à force de surfer et donc de comparer, ont découvert qu'il existe des normes basiques «universelles». Et c'est au nom de ces normes basiques que les pétitionnaires de l'ADSL algérien s'estiment en droit d'exiger, non pas l'impossible, mais «un service technique compétent, de vrais ingénieurs qui soient disponibles tous les jours de la semaine et qui nous traitent comme des êtres humains». Classique.

 Ce genre d'exigences, le consommateur-payeur du marché réel, au souk ou dans les services publics, les exprime souvent en rencontrant de l'autre côté du comptoir un silence dédaigneux. Parfois, il reçoit la réponse indigne, insupportable : «Tu te crois où ? Tu es en Algérie !». A mort donc les normes universelles : nous devons, de la démocratie aux prestations les plus banales, nous contenter de normes spécifiques. Dans la logique ambiante, les usagers protestataires de l'ADSL sont virtuels et n'ont raison que virtuellement. Ils n'existent pas. Pas plus que n'existent des consommateurs dans un pays où règne encore la vente par sommation, «à prendre ou à laisser», et où le taxieur décide de la direction qu'il doit prendre en prenant soin de vous signifier que si vous n'avez pas la monnaie, vous n'aurez pas le droit de poser le postérieur dans sa «limousine».

 Enfin, ces protestataires restent encore plus réels que les abonnés de l'Eepad. Selon le ministre des TIC, Hamid Bensalah, qui ne manque pas de mérite, disons-le, l'entreprise Eepad n'a pas disparu. C'est vrai : en passant par le ravin de la Femme sauvage, on voit encore les beaux immeubles de l'Eepad. Conclusion : ce sont les clients de l'Eepad qui ont disparu corps et biens et qui n'ont même pas une existence virtuelle.