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De Téhéran à Ghaza

par K. Selim

Les Occidentaux unanimes, avec leurs dirigeants, leurs opposants, leurs journaux et leurs penseurs, nous ont invités, au cours de ces dernières semaines, à nous mobiliser pour l'Iran et à défendre la démocratie et la justice. Sur les chaînes de télévision occidentales, un nombre impressionnant de personnes s'improvisant spécialistes de l'Iran nous ont invités à saisir que quelque chose de fondamental se jouait dans les rues de Téhéran. La nuance n'était pas permise. Dénoncer la répression des manifestations, tout en refusant de prendre pour argent comptant la thèse de la fraude électorale, n'est pas accepté. Ceux qui pensent pour nous ne veulent pas de nuances et encore moins faire référence aux réalités terre à terre de l'Iran. Comme de souligner que le populisme d'Ahmadinejad, fondé sur une redistribution de la rente, a été jugé plus acceptable par le grand nombre que le discours économique libéral des Moussavi et consorts.

Dans l'affaire de l'Iran, l'opinion était sommée de suivre, ceux qui refusaient passant tout simplement pour des défenseurs de la dictature. Dans cet Occident pluraliste et démocratique, les dirigeants et les médias ont marché en ordre serré et ont répété en boucle la même antienne. Les lectures divergentes ont été rares. Et même dans l'extrême gauche où il est de tradition d'être méfiant à l'égard de la pensée dominante, on a reproduit le discours ambiant.

Pourtant, les Occidentaux apportent un soutien décomplexé à de nombreux despotismes dans des pays où, contrairement à l'Iran, il n'y a ni vote ni vie politique. Cette lecture unique imposée par une orchestration remarquable est donc un traitement particulier réservé à l'Iran. La crise post-électorale iranienne aurait permis - c'est positif - à une opposition de se cristalliser, de se compter et de prendre date. Mais la lecture binaire qu'on essaie d'imposer au monde ne passe pas.

Ce discours de la liberté qui a déferlé ces derniers temps dans les médias occidentaux aurait eu du sens si ceux qui décident de ce qui est bien ou mal avaient accordé une part infime de l'intérêt pour l'Iran à la détresse de 1,5 million de Palestiniens à Ghaza. La guerre et le blocus sont une entreprise de saccage physique et psychologique effroyable subie par toute une population dans l'indifférence la plus totale. Même Benjamin Netanyahu a pu, sans susciter le moindre étonnement dans la presse du monde libre, donner des leçons de démocratie à l'Iran. On aurait volé leur vote aux Iraniens, c'est grave ! On vole leurs vies aux Palestiniens, cela n'a rien d'essentiel...

On se contentera de faire une dépêche du terrible rapport du CICR sur la situation des Palestiniens, mais lancer une mobilisation universelle pour Ghaza ne sera jamais à l'ordre du jour. Comment donc croire ces défenseurs d'un humanisme à géométrie variable ? Mais au fond, peuvent-ils accepter ceux qui pensent que la vie est digne d'être défendue aussi bien à Téhéran qu'à Ghaza ?