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Des cochons et des hommes

par Ahmed Bensaada*

Il y a eu la vache et sa folie, le mouton et sa tremblante, le poulet et sa grippe, et, maintenant, le porc et son H1N1. Tous les animaux d'élevage y sont passés, ou presque. Il n'y a que le lapin qui doit s'estimer heureux dans son clapier, du moins jusqu'à maintenant.

L'avenir nous réserve peut-être un lapereau atteint de rougeole, de varicelle ou de la maladie d'Ebola, que Dieu nous en préserve. Mais mon propos, aujourd'hui, n'est pas de discutailler de cette maladie qui affecte les gorets ni du niveau d'alerte qui leur est décerné par cette honorable institution qu'est l'OMS. Non. J'aimerais plutôt vous parler d'une maladie véhiculée par une autre espèce d'omnivores, maladie qui a dépassé, depuis belle lurette, le niveau 6 et qui est au stade de pandémie dans tous les pays occidentaux. Cette affection consiste à trouver, quels que soient le sujet, le thème, la situation ou le problème, un lien aussi ténu soit-il avec l'Islam et l'utiliser pour dénigrer, malmener et traîner dans le purin cette religion. Les exemples sont légion et chaque jour qui passe charrie son lot d'inepties enrobées dans des vocables aussi tendancieux que fallacieux. Regardons, par exemple, l'affaire des «porcs du Caire». Le gouvernement égyptien a, à tort ou à raison, décidé d'abattre les porcs qui vivent dans les décharges publiques de la capitale dans des conditions d'hygiène exécrables. Essayez d'imaginer: des monceaux d'ordures en putréfaction dans la légendaire chaleur du Caire, nourrissant quelques 60.000 porcs destinés à la consommation humaine. L'atmosphère y est tellement nauséabonde que tout le quartier baigne dans des émanations pestilentielles. Il est clair que ces animaux sont un danger pour la santé publique en dehors même de tout risque d'épidémie de grippe porcine, surtout pour ceux qui en consomment la chair. Ce problème de salubrité publique aurait été tout à fait anodin si ce n'est que les propriétaires de ce cheptel inusité ne font pas partie de la majorité musulmane, mais sont des chrétiens coptes, chiffonniers de leur métier.

Et voilà la déferlante médiatique occidentale qui se met en branle avec ses pseudo-journalistes qui se pourlèchent les groins, alléchés par la juteuse confrontation religieuse qu'ils vont monter de toute pièce et en matraquer leurs lecteurs ou leurs auditeurs.

«Les musulmans qui persécutent les chrétiens coptes», «les musulmans qui considèrent le porc comme un animal impur», «les musulmans qui veulent éradiquer les porcs parce que l'Egypte est un pays islamique», etc. «Médisez, médisez, il en restera toujours quelque chose», dit-on. Tous les journaux, en prime time, orchestrent le battage médiatique à grands coups d'images chocs de verrats gambadant dans des dépotoirs à ciel ouvert. Incroyable: le sujet est si sérieux que le respectable journal «Le Monde» a son envoyée spéciale sur la colline de Moqatam, interviewant des zabaline (chiffonniers) coptes en colère. Mais ce que ne nous disent pas ces donneurs de leçons, c'est que la vie des zabaline a changé depuis la restructuration du secteur du nettoyage urbain et de la collecte des ordures. En effet, ce secteur à été investi depuis quelques années par des compagnies étrangères et les chiffonniers n'arrivent plus à joindre les deux bouts comme de par le passé. L'histoire du porc n'a fait qu'ajouter un peu plus de précarité à leur condition socio-économique qui n'était déjà pas radieuse. Même la vertueuse Brigitte Bardot s'en est offusquée, qualifiant la décision du gouvernement égyptien de «lâcheté extrême». Défendant la truie et le porcelet, elle a exhorté les autorités de ne pas créer d'élevages organisés, mais de laisser les porcs vivre «en liberté» dans les détritus. A se demander pourquoi elle ne s'est pas encore lancée dans l'élevage porcin dans les dépotoirs de France et de Navarre et de nourrir les Français avec cette chair infecte. Par ces temps de crise, elle aiderait à la création d'emplois et à la résorption du chômage dans l'Hexagone. Pour avoir vu et entendu de nombreux Occidentaux rechigner et se plaindre de la salubrité quelque peu défaillante de certains lieux publics en Egypte, il est sidérant de les voir prendre la défense de ces endroits et de ces élevages qui sont aux antipodes des normes européennes en matière d'hygiène. A noter que les autorités du pays ont prévu des compensations financières pour chaque bête abattue et que le directeur du département des maladies infectieuses du ministère égyptien de l'Agriculture a déclaré que l'abattage des porcs était «une mesure d'hygiène générale, pour transférer ce genre d'élevage dans de vraies fermes, pas dans les décharges». En outre, le pape Chenouda III, patriarche de l'Eglise copte, n'a non seulement émis aucun commentaire concernant la supposée discrimination dont font l'objet les chiffonniers chrétiens, mais a envisagé de faire participer son Eglise au dédommagement des éleveurs.

D'autre part, il ne faut pas oublier que l'Egypte est le pays qui a été le plus touché par l'épidémie de grippe aviaire en dehors de l'Asie: 68 cas recensés dont 25 mortels. Une telle hécatombe justifie la prudence des autorités sanitaires de ce pays envers toute autre épidémie. Autre question qui peut venir à l'esprit: mais où diable étaient ces défenseurs du droit à l'existence et ces envoyés si spéciaux lorsqu'il y a quelques mois à peine des êtres humains se faisaient «phosphorer» ou «dimer» à Gaza ? Ou bien le droit des animaux a préséance sur celui des humains ? Détourner le problème des chiffonniers du Caire en surfant sur la vague du dénigrement systématique de l'Islam et en le présentant comme une persécution religieuse est plus que de la désinformation: c'est de la mauvaise foi et de l'incitation à la haine. En Egypte, les coptes ont toujours été considérés comme des citoyens à part entière et ce ne sont pas quelques cochons se pourléchant les groins qui vont y changer quelque chose.




* Docteur en physique, Montréal (Canada)