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Covid-19: Crise sanitaire et dommages collatéraux

par R. N.

«L'histoire du monde est là, l'humanité a été constamment sauvée par le vaccin », nous a répondu hier Nacer Djidjeli, Professeur de chirurgie pédiatrique à l'EPH(Etablissement public hospitalier) de Belfort, à El-Harrach. Il regrette amèrement qu'en parallèle «les pathologies chroniques ne sont pas actuellement prises en charge, les gens errent ».

A une question sur la nécessité de la vaccination et s'il a été vacciné et à la remarque «dans le doute s'abstenir » et surtout que «l'humanité a toujours été embourbée dans des considérations d'intérêts colossaux de laboratoires, dans des conflits géostratégiques, de géopolitique malsaine, de complots.... », il estime «mais il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain...La variole, le choléra, la poliomyélite, la tuberculose, des maladies qui ont été complètement éradiquées par le vaccin... ». Des vaccins qui ont été préparés pendant de longues années, sur lesquelles il y a eu un grand nombre d'études et de contre études, des réflexions.... Mais, réagit-il, «la science évolue, les premiers vaccins qui ont été faits prenaient 4-5 ans, mais bien avant la crise de la COVID-19, les vaccins se faisaient en 3-4-5 mois, celui de la grippe, il se préparait pendant une année... ». La grippe est connue depuis longtemps... «Bien sûr que personne ne connaissait la COVID-19 mais tous les scientifiques du monde se sont mis dessus, il y a eu toute l'énergie sur ce nouveau virus, évidement tout le travail ne s'est pas fait comme ça gratuitement, ils ont l'arrière pensée de gagner le jackpot, mais il faut faire confiance à la science, elle reste la science», affirme-t-il. Et, continue-t-il d'expliquer, «même si tous ces intérêts mercantiles qu'il y a derrière, c'est discutable, est-ce qu'on peut dire à ceux qui travaillent qu'il n'y a pas d'intérêts ? C'est évident qu'ils arrêtent tout ! ». Il tient à compléter son explication, «les labos investissent des sommes colossales dans des recherches qui, 99% de fois n'aboutissent pas. Je ne défend pas le diable mais il faut rester pragmatique, on ne peut pas leur dire ne soyez pas mercantiles, le système est ainsi fait depuis que la science est au premier plan de l'évolution du monde, certes ça reste discutable dans ce contexte, mais ce qui est sûr et qui est indiscutable, il faut qu'on fasse confiance à la science ».

«La science a très peu de dogmes »

Prof Djidjeli explique «on doit faire confiance à la science parce que c'est peut-être la seule discipline où on se remet en cause perpétuellement, contrairement à ce qu'on peut penser, dans la science il n'y a pas un domaine où le doute n'est pas permis, on doute de tout, et la science a très peu de dogmes, elle remet en question tout ce qui peut l'être ». A la question sur le foisonnement de réflexions et contre réflexions qui soutiennent les unes les autres une chose et son contraire depuis l'apparition du coronavirus, Pr. Djidjeli répond «dans toute pathologie médicale, il y a des publications qui se font, il y a une majorité qui va dans le même sens mais d'autres essaient de dire l'inverse, pour ce qui est de celles relatives à la COVID, la grande majorité vont dans le sens de la vaccination». Et enchaîne-t-il « les anti-vaccins existent partout dans le monde, ça fait partie un peu de cette défiance de ces dernières années contre l'establishment (...). On ne peut pas remettre tout à zéro, c'est dangereux pour nous, la science reste un domaine qui a énormément fait avancer le monde ». A propos de la nécessité d'une troisième dose alors que le Delta ne semble pas désarmé par la vaccination, il indique «la grippe c'est la même chose, chaque année on change de vaccin parce que le virus mute, si on fait le vaccin de la grippe aujourd'hui, il va être efficace pendant 6 mois jusqu'à ce que le virus ne circule plus mais dés qu'il revient, le vaccin qu'on a fait n'est plus efficace parce qu'entre temps le virus a muté( ...)». Bien que des personnes vaccinées ont eu la COVID, soit juste après une première dose ou même après avoir eu les deux doses de vaccin, Pr. Djidjeli observe «la quasi-totalité des gens qui font la COVID ne sont pas vaccinés, ce sont les scientifiques qui le disent. En plus, la majorité de ceux qui sont atteints alors qu'ils sont vaccinés font des formes bénignes, légères, même s'ils sont âgés, ce sont quand même des bénéfices extrêmement importants ». Ce qui lui fait dire «on exige trop et vite, il y a certes beaucoup de choses qui ne sont pas connues, mais les données sont là ». Il affirme qu' «on essaie d'avancer même si de nombreuses et grandes questions restent posées, ce que nous allons devenir dans deux ou trois ans, on ne le sait pas encore, mais la vaccination est importante ».

«On a un retard extrêmement important»

Pour ou contre le pass sanitaire ? Pr. Djidjeli avoue «sincèrement, je ne peux pas vous répondre ». La campagne nationale de vaccination a été lancée le 4 septembre et s'achèvera le 11 du même mois en se fixant comme objectif d'ici là d'atteindre 70% d'Algériens vaccinés. «On n'atteindra pas ce taux si on continue à agir comme on le fait. On a déjà un retard extrêmement important par rapport déjà à nos voisins....Les autorités semblent se réveiller ces derniers temps mais on veut voir comment ça se passe sur le terrain parce qu'on a l'habitude de les entendre dire qu'on va faire beaucoup de choses, mais en réalité on ne voit pas ça venir », estime-t-il. Pourtant, la tendance baissière est bien là. « Même quand on était à 1% de la vaccination, il y a eu une baisse », répond-il. Les citoyens n'ont pas plus ou mieux appris à se protéger et à respecter les gestes barrières à chaque fois que les cas de contamination baissent, le constat est fait à l'œil nu, mais comme si la contamination joue au yoyo, elle augmente et baisse d'une manière répétitive. «C'est l'évolution du virus qui marque ces hauts et ses bas de la contamination, mais le port de la bavette est un élément extrêmement important pour la faire diminuer, c'est une donnée réelle. On remarque cette année qu'on n'a pas eu de grippe.... » Les autorités sanitaires algériennes ne sont pas habituées à parler de la grippe encore moins de combien de personnes elle atteint et des décès qu'elle cause. «(...), dans mon entourage il n'y a pas eu de grippe parce qu'on porte la bavette ! Ce sont des éléments difficilement négociables, la bavette en fait partie ! Le virus est là, il mute constamment quant à sa contagiosité », affirme-t-il. Le variant «MU» l'est-il aussi et est-il déjà en Algérie? «On ne sait pas encore s'il est chez nous, ce n'est pas prouvé biologiquement, on verra sur le terrain, mais les premières données montrent que le variant Delta était bien plus contagieux, il a muté dans la contagion mais n'était pas plus dangereux que le tout premier. On dit du MU qu'il est aussi contagieux, mais c'est encore trop tôt pour l'affirmer », relève-t-il.

«Les malades chroniques errent»

Pr Djidjeli tient à « attirer l'attention sur une situation extrêmement importante », dit-il. En Europe, continue-t-il «à l'apparition de la COVID, ils ont fermé tous les services pour les réserver à la nouvelle maladie, mais ils ont remarqué après coup que de beaucoup de pathologies n'ont pas été prises en charge et se sont lourdement aggravées (diabète, cancer, la neurochirurgie, les cardiopathies n'ont pas été opérées et ceux qui en sont atteints sont décédés, les pathologies urinaires, beaucoup de gens atteintes de ces maladies sont décédés, mais les Européens ont appris la leçon, ils n'ont plus refait ça ! Lors de la dernière vague, ils ont fait des efforts monstres pour ne pas arrêter la prise en charge des pathologies chroniques».

En Algérie, relate-t-il avec regret «on n'apprend pas les leçons, on continue de fermer d'une manière absolument bête ! ». Son exemple criant, «dans le service où je suis, on a 32 lits, on est extrêmement sollicités par de gros malades qui viennent de partout comme tous les services, il y a quelques mois, les autorités se sont réunies, ont fait comme la dernière fois, ont décidé que tous les services doivent garder 10 lits d'hospitalisation pour la COVID. Dans le service, je fais de la pédiatrie, j'opère des bébés et j'hospitalise les mamans avec, est-ce que je dois hospitaliser de vieilles personnes atteintes de la COVID en face de ces bébés opérés ?!? », interroge-t-il inquiet. La réponse des responsables, «ne te mêle pas de ça, j'ai été obligé de réserver une salle pour le cas de COVID mais depuis elle est fermée à clé, chez l'enfant il n'y a pas de cas de COVID... », fait-il savoir. «Que doit-on faire avec les malades chroniques, on les laisse mourir... », interroge-t-il encore. « Les pathologies chroniques ne sont pas actuellement prises en charge, les gens errent » affirme-t-il.

La fin de cycle du virus ? «On ne sait pas, le virus reste très contagieux, et très dangereux... », lâche-t-il. Ses rappels scientifiques, « un virus mute par instinct de survie, plus il infecte, plus il conserve son espèce(...), la conservation de l'espèce est ancrée dans tout être vivant, l'instinct est donc de se démultiplier et ce, en infectant le plus de nombre de malades. On insiste pour que la vaccination soit massive et sur un temps assez court pour ne pas donner le temps au virus de muter(...),parce qu' il peut le faire un milliard de fois ». Il estime, «il y a énormément d'inconnues (...), on a quand même avancé parce qu'on a optimisé le traitement(...), il faut croire en la science »

«Les chiffre avancés sont très timides»

Pour le Professeur Mustapha Khiati, «il faut une campagne continue jusqu'à atteindre l'objectif visé, il faut accompagner cette campagne avec une autre, de sensibilisation surtout qu'aujourd'hui, on relève un certain déclin de la vaccination, les chiffres officiels avancés dans les wilayas sont très timides ». Les citoyens ont-ils le droit de dire non à la vaccination ? « Absolument, il n'y a pas d'obligation mais il faut expliquer aux gens, les aider à comprendre, les rassurer , aujourd'hui ce n'est pas normal d'assister à ce reflux alors qu'on a les vaccins,», dit-il. Interrogé sur l'obligation ou non du pass sanitaire », il estime que «c'est tout un débat, on voit ce qui se passe en Europe, aux Etats-Unis, mieux vaut ne pas rentrer dans cette polémique ».Pr Khiati pense cependant qu'«il faut faire vacciner les catégories les plus exposées, les malades chroniques et les personnes âgées, les deux représentent entre 8 et 10 millions de personnes, ils sont prioritaires, il faut aussi se tourner ensuite vers les corps constitués où beaucoup ne sont pas vaccinés, il faut aussi vacciner les enseignants quitte à le rendre obligatoire(...) ». Ceci, «c'est pour protéger la majorité, au niveau des écoles, il est possible de le faire, sinon l'enseignant est libre de prendre un congé de longue durée, on peut aller vers l'absurde... ».

Pr Khiati interroge «ils disent qu'ils ont vacciné 8 millions de personnes, mais on ne sait pas combien sont-elles à avoir pris une dose et combien deux doses ?; le nombre de malades chroniques et les personnes âgées dans ces 8 millions ?, ils peuvent le savoir puisque les malades chroniques ont tous la carte chiffa et vont chez leur pharmacien de façon régulière. » Et «ces 750 pharmaciens qui se sont portés volontaires pour vacciner sur les 12 mille qui exercent en Algérie, ce n'est pas normal, il faut les persuader, les convaincre... »

«On est dans le vague»

Pour que les vaccins utilisés soient reconnues en Occident, notamment en Europe, Khiati pense que «l'Algérie est membre de l'OMS, et du COVAX, la France et l'Angleterre le sont aussi, il faut discuter de cela au niveau de l'OMS, il faudra que l'Algérie demande une réunion extraordinaire à l'OMS pour discuter de ce problème, il est inadmissible que les grands pays européens soient dirigés par les big pharma et qu'ils font prévaloir des intérêts économiques sur des intérêts de santé,! » La gestion de la COVID-19 est sortie de la sphère scientifique pour être aujourd'hui au centre de grosses polémiques politiques. Mais, estime-t-il, «on a des faits, la vaccination joue un rôle de barrage et de bouclier contre les variants (...), c'est un constat intangible ». Pr Khiati insiste toutefois qu' «on est en face de nouvelles épidémies, il ne s'agit pas de rebond ni de vague, on a eu des taux de décès très élevés parce qu'il y a eu relâchement, les gestes barrières peuvent limiter les dégâts, surtout qu'on va vers des élections, des meetings...».         L'apparition du MU lui fait dire «encore une fois les nouveaux variants posent le problème de l'identification génétique, du séquençage » qui, dit-il, n'est pas pratiqué chez nous d'une façon régulière et quotidienne, c'est difficile de savoir que le MU est chez nous ».

Il juge «inadmissible que des centres de recherche comme le CRBC (Centre de Recherche en biotechnologie- Constantine) qui peuvent faire facilement des séquençages génétiques ne soient pas associés à cette recherche et qu'on soit toujours dans le vague, on ne sait toujours pas ce qui se passe ! »