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Rentrée...

par Paris : Akram Belkaïd

Une cavalcade. Une immense cavalcade, un flux désordonné où les gens qui vous bousculent donnent l'impression d'être devenus fous. Voilà ce que m'a toujours inspiré la rentrée, ce moment détestable où il faut rompre avec les très bonnes mauvaises habitudes de l'été. Dormir tard, se lever encore plus tard. Lire plusieurs livres en même temps, écouter une musique oubliée... Réfléchir à comment bien employer son temps à ne rien faire. Mettre à bonne distance les fâcheux habituels et occasionnels. Essayer, si l'on peut, de faire un pas de côté par rapport à la routine, à l'actualité morose et aux inévitables servitudes. Que l'on ne s'y trompe pas, le souvenir, encore pesant, du retour à l'école n'est pas pour grand-chose dans cette détestation de la rentrée. Bien sûr, en cette époque de pandémie, on ne peut que plaindre les pauvres gamins obligés de prendre le chemindes classes pour encaisser des humiliations à la chaîne et apprendre la discipline et des tonnes de choses qui seront oubliées à l'âge adulte. Non, ce qui pèse, c'est ce maudit esprit de la rentrée.

La rentrée, c'est d'abord et avant tout un flot de gens qui affichent les bonnes résolutions prises durant l'été. La plus visible d'entre-elles concerne le sport. Soudain, les rues de la ville sont emplies de coureurs au bord de l'épuisement mais très fiers d'eux (et de leur bronzage). Impossible de flâner tranquillement dans les allées d'un parc, ils sont légions à cavaler, refusant, bien entendu, de dévier leur course pour ne pas arroser de leurs miasmes les pauvres marcheurs qui les croisent. Pour les habitués des lieux, y compris pour celles et ceux qui y trottinent toute l'année, ce n'est qu'un mauvais moment à passer. Il faut tranquillement attendre le mauvais temps, octobre et son plafond gris qui s'installe, ses températures qui chutent. Dès lors, les bronzés trépidants auront disparu, leurs bonnes résolutions se seront envolées, érodées par les jours qui passent, le stress, les soucis et la fatigue infligée par une capitale de plus en plus pénible à vivre.

La rentrée est souvent un moment ambigu à vivre pour celles et ceux qui ne sont pas partis en vacances et, faut-il le rappeler, leur nombre est important. Durant l'été, ils ont dû subir cette ségrégation sociale qu'infligent les médias sans parfois s'en rendre compte. Tout tourne autour des vacances, la météo, l'état du trafic routier, le taux de remplissage des campings et des hôtels (autant d'informations qui ne concernent pas celles et ceux qui les écoutent, les vacanciers étant, on l'espère pour eux, occupés à autre chose). Les chaînes de télévision et de radio changent leurs grilles, certaines n'ont aucun scrupule à infliger des rediffusions, histoire de bien démontrer que la période est une mise en parenthèse. Alors, quand vient la rentrée, c'est un retour à la normalité qui fait du bien mais, comme indiqué plus haut, il faut subir les résolutions d'autrui.

C'est le moment où, pour ne parler que du présent chroniqueur, se manifestent les gens à qui on a, vaguement, promis un article. C'est le moment où l'enthousiasme des organisateurs de conférences est le plus débordant. Bref, les gens ont des projets plein la tête et tiennent absolument à vous embarquer. Heureux sont les privilégiés qui peuvent s'échapper quand le gros des vacanciers revient. Enfin, heureux, ils le sont moins car, à l'heure des messageries instantanées, il est désormais impossible de fuir sans laisser de trace, sans être joignable à n'importe quel moment.

De la rentrée, on attend, ou on craint, c'est selon, un sursaut social. Chaque année qui passe amène la même rengaine : « la rentrée va être chaude ». Cela s'est vérifié, avec un peu de retard, en 2018 avec le mouvement des gilets jaunes. Cette année, beaucoup pensent qu'il va y avoir une convergence entre divers mouvements de protestation, quelle que soit leur nature : anti-passe sanitaire, anti-vaccins (qui ne sont pas toujours les mêmes, il faut le rappeler), gilets jaunes, etc. C'est dans ce contexte que se profile l'élection présidentielle du printemps prochain. La campagne a déjà commencé même si Emmanuel Macron ne s'est pas encore déclaré (attention, tous ses ministres répètent les mêmes éléments de langage : ils « souhaitent » qu'il se représente...).

Cette élection présidentielle, ses débats qui s'annoncent, aggravent le poids de cette rentrée. Nous savons de quoi il va être question. Déjà, le gouvernement a donné le ton avec une campagne censée faire la promotion de la laïcité. Un exemple pour bien prendre la mesure de cette dernière dinguerie: la laïcité, ce serait à en croire l'une des affiches, la possibilité qu'un petit garçon et qu'une petite fille, Sacha et Neissa, se baignent en même temps dans une piscine. Le message est le suivant : grâce à la laïcité, Neissa, dont le prénom et la couleur brune de sa peau sont censés indiquer qu'elle est musulmane, ne sera pas interdite de piscine pour cause de présence de garçons. Conclusion, la laïcité c'est donc la mixité et la piscine pour tous...

Je termine cette chronique à l'heure où, comme tous les premiers mercredis du mois, sonnent les sirènes de la ville.