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Remettre les compteurs du pouvoir à zéro

par Fouad Hakiki (*)

Le président Tebboune se lance, en suivant son idée de la «main tendue au Hirak», dans des consultations à propos de l'amendement de la Constitution. Jusqu'à ce jour l'on ne voit pas où tout cela débouchera et quand ça s'arrêtera. Aurons-nous à faire à ces énièmes préparatifs (de la conférence de la Charte nationale de Boumediene à l'instance de dialogue de Gaïd-Salah) d'opérations de charme pour légitimer des dirigeants ayant usurpé le pouvoir sans le consentement de (la majorité de) leur peuple ? La question est ouverte ; et pas seulement par les opposants historiques du régime mais aussi par le Hirak.

Cependant personne ne ferme la porte du dialogue et chacun laisse toutes les chances à Tebboune pour construire un consensus, pas nécessairement unanimiste, autour de l'édification d'une nouvelle république dont son mandat présidentiel ne sera que l'ébauche. L'on ne peut, à l'heure actuelle, espérer la formation d'une Assemblée constituante ou d'un gouvernement d'union nationale tant que les forces sociales et politiques du système Etat-FLN-RND sont encore au cœur des institutions à tous les niveaux (civils et militaires). Tant que Tebboune et son équipe ne remettent les compteurs du pouvoir à zéro.

Cette remise des compteurs du pouvoir à zéro est en réalité à double face. Elle est, d'une part, une rupture avec les méthodes de gouvernance prévalentes depuis l'indépendance où notre ANP s'est trouvée au devant de la scène (1965, 1991 et 2019 entre autres) donnant une image de l'Algérie, d'un pays de dictature militaire ou du moins d'un régime autoritaire. Mais où aussi nos dirigeants politiques civils n'ont eu de cesse de clamer le retour à l'esprit de Novembre, à la construction d'une «république démocratique et sociale» où le pouvoir du peuple est un pouvoir par le peuple. C'est dire combien ce «dévoiement de la Révolution» (Boudiaf) est une «confiscation de la révolution» (Ferhat Abbés).

Mais cette remise des compteurs à zéro est aussi une volonté, une intention et une action au jour le jour. Elle ne peut être un vœu ni un souhait. Une déclaration. Quelques lignes d'un discours d'intronisation ou d'un programme à soumettre à l'approbation d'une représentation nationale (issue du système Etat-FLN-RND donc décriée). Mais une décision, une instruction mise en œuvre immédiatement. De toutes les actions du président actuel, celle qui relève de ce genre est celle d'ouvrir le procès de ce cadre de l'État portant atteinte au père ? et aussi à sa famille et au fond à tous les Algériens- de la révolution : Abbane Ramdane. Puisque c'est bien lui qui est la cheville ouvrière de la déclaration du 1er Novembre, son principal rédacteur. Et s'il existe une chose qui unit toutes les Algériennes et tous les Algériens, plus que tout autre chose au monde ? et loin des premiers articles de toutes nos constitutions, de toutes ces «constantes de la nation», c'est bien et avant tout : cette Déclaration.

Cependant regardons les choses de plus près sous l'angle de la «remise des compteurs du pouvoir à zéro», de ces deux faces. Il y a le fait que Tebboune s'engage personnellement pour stopper cette dérive de dénigrement du mouvement national et de ces acteurs. Mais de l'autre côté : si un simple dialoguiste de cinéma (semble-t-il) peut porter atteinte à un des plus grands symboles de la nation, c'est que le mal est profond.

Son incarcération (dans le respect des lois de la république) n'est pas en soi suffisante, car la répression ne peut enfermer une idée. Ce directeur de la culture de wilaya, sur sa page Facebook, n'a en réalité que repris un des thèmes récurrents d'un débat sur les réseaux sociaux depuis le 22 février 2019 entre les anti-système et les pro-Gaïd-Salah (à l'époque des faits ; avant le 23 décembre).

Ce qu'il faut d'abord relever ici c'est le fait : les «mouches électroniques» - tous ces faux comptes sur la Toile- lancées par les services de sécurité pour défendre la ligne prônée par le commandement militaire (de l'époque) ont oeuvré : 1- pour bloquer (et les signaler aux modérateurs internationaux des réseaux sociaux aux Etats-unis, en Angleterre et en France) les comptes Facebook des tenant de la revendication «Yestnahaw Gaa» ; 2- et n'ont rien fait pour ceux qui tenaient des propos haineux. Chacun a pu constater que certains médias publics attaquaient en falsifiant l'histoire, par exemple, le moudjahid Lakhdar Bouregaâ.

Ensuite, il y a aussi le fait : tout cela est resté sans conséquences ; aucune arrestation ni procès (car, veut-on nous faire croire, il n'y avait pas de législation). Mais, au terme de 9 mois du Hirak - riches en confrontations d'idées et en propositions programmatiques (on ne le dit pas assez) - on a désactivé beaucoup de ces faux comptes. Au même temps, l'on a menacé de poursuite certains hauts cadres civils des administrations centrales et locales qui, sur leurs pages Facebook, révélaient des dysfonctionnements ou des scandales étouffés.       D'ailleurs certains d'entre eux ne publient plus rien aujourd'hui.

On a ainsi fait table rase de la richesse des débats sur les réseaux sociaux autour de notre histoire récente (mais séculaire si l'on prend la naissance de l'Etoile Nord-africaine comme point de départ et donc on intègre Messali Hadj comme père du mouvement national et nationaliste - et non les Oulémas) et autour des perspectives à venir (quelle république ?

Quelle constitution ? Quels objectifs ? Etc.). Et l'on fait aussi table rase des intervenants de l'État profond sur ces réseaux sociaux, de la nature des opérations qu'ils menaient, du contenu de leurs propos et de leurs implications dans justement cette lame profonde haineuse nauséabonde.

Aussi c'est bien de juger un simple civil pour des propos haineux (partagés par beaucoup d'autres : civils et militaires) mais qu'en est-il de ceux qui, dans leurs missions, ont laissé sciemment se propager ces propos ? La remise des compteurs du pouvoir à zéro passera par une mise à plat de l'intrusion de notre ANP dans la sphère politique avec ses moments glorieux comme pour ses faces sombres, non seulement depuis le 22 février 2019 mais bien au-delà : avant 1991, avant 1965, avant 1962, lors de l'assassinat de Abbane Ramdane.

(*) Economiste