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Algérie, dis-moi que je suis la plus belle

par Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

Drôle de conception narcissique de notre destinée: rappeler notre histoire et notre place géographique dans le monde pour nous redonner espoir en l'avenir? Et les échecs d'aujourd'hui, comment les expliquer?

Primo: un pays ne vaut-il que par sa place dans la géographie du monde? C'est ce que laissent à penser les déclarations du président de l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen ( Ipemem), Jean-Louis Guigou qui ont enflammé les réseaux sociaux et fait quelques «Une» de la presse nationale, en prédisant un avenir de «grande puissance régionale», à l'Algérie. Nous découvrons que nous sommes un pays de transit entre l'Europe et l'Afrique, une sorte de «canal de Panama» reliant les deux plus grands océans. Mais pourquoi diable, le défunt Président Houari Boumédienne s'était acharné à faire, dès 1969, de la route transsaharienne reliant Alger à Tamanrasset et aux frontières maliennes et nigériennes, un projet stratégique de développement du pays? Jean Guigou nomme autrement ce projet: «la verticale Afrique-Méditerranée-Europe».

Cette autoroute du bonheur pour nous et les Africains, ouvrira notre pays à une industrialisation saturée en Europe qui, elle, s'en va sur les routes du numérique et des technologies de pointe. Toujours une longueur d'avance sur nous, malgré notre «position géographique stratégique», reliant deux continents du nord et du sud de la planète Terre. Bigre.. foutu pour les pays totalement isolés comme la Nouvelle Zélande ou la Corée du Sud: condamnés au sous-développement parce que le hasard de la nature les a placés, à l'orée, à la périphérie des autoroutes du bonheur.

Deusio: un article du journal le ?Soir de Belgique' nous apprend que la renaissance et le siècle des lumières en Europe, n'ont été possibles que grâce, en très grande partie, à l'héritage de la «civilisation arabo-musulmane» et son apogée en Andalousie. Et voilà, encore, un autre sentiment de fierté pour nous: nous sommes quelque part les géniteurs du siècle des Lumières européen. Ainsi, donc, après avoir illuminé l'Europe de notre génie, nous avons sombré dans l'obscurité de l'ignorance et de la défaite. Pourquoi ? D'où est né le génie arabo-musulman, de cette faste ère andalouse? Il a, lui-même, hérité des civilisations perse, asiatique, grecque et romaine.

Là encore, nous avons été des passeurs de génie, une époque de transit, une autre autoroute de transmission des bienfaits de la civilisation. Notre histoire se résume-t-elle à sa seule position géographique qui nous condamne au rôle ingrat de passeurs d'idées et de zone de transit du développement, sans que nous en profitions?

Cette lamentation sur un passé glorieux et l'ignorance de l'importance de notre place géographique, dans le monde, suffiront-elles à nous reprendre de nos échecs? Tercio: régulièrement la presse et les réseaux sociaux signalent, fièrement, la découverte scientifique, l'invention de telle ou telle nouveauté technologique, de tel ou tel Algérien en Amérique et en Europe pour conclure à l'intelligence des nôtres, ailleurs. Nous ne sommes donc pas si différents que les autres peuples. Qu'est-ce qui bloque, alors, chez-nous pour ne pas faire la course en tête des pays développés? Le «système» qui nous gouverne, estiment la majorité des Algériens, pour nommer cette fatalité qui nous exclut de la marche du monde libre et heureux. Le «Système», cet étrange corps que nous constituons, perpétuons et duquel nous nous plaignons. C'est qui le «système»? Un président, 30 ministres, 48 walis et 250.000 policiers? Et les 40 millions que nous sommes, qui sommes-nous ? Que voulons-nous? Bientôt les élections législatives et il y a comme un air de déjà vaincu par le «système» qui, pensons-nous, reconduira les mêmes élus pour perpétuer le même sentiment d'inutilité et de tristesse.

Cette histoire d'élections législatives, comme d'ailleurs, toutes les autres élections, traduisent un vrai trouble de notre conscience nationale: aller aux élections que nous dénoncerons, en affirmant que les résultats sont connus d'avance, manipulés et surtout qu'elles ne servent à rien, sinon de pomper encore plus l'argent public du contribuable. Une vrai impasse nationale alors que nous sommes si heureux et fiers d'être vus par les «autres» comme un pays avec un grand avenir, un pays à vocation de puissance régionale, un pays passeur d'idées, producteur de génies, un pays avec une histoire si riche et si exemplaire. Du coup, cette revendication narcissique de notre glorieux passé et notre «station» géographique, dans ce monde, nous aident à mieux supporter notre présent, marqué par le pessimisme et nos inquiétudes pour l'avenir. Pour l'heure, nous sommes, encore, au bord de cette autoroute du bonheur qui ne finit pas de s'étendre à l'horizon, pollué par les mirages si familiers de cet immense Sahara qui nous sépare, encore, de l'Afrique.