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L'intrus

par El Yazid Dib

Intrus ou clandestin, rien n'est volontaire de sa part. Je le croise chaque matin, debout au détour d'un carrefour ou allongé sur un asphalte qui n'a pas de rue. Seul ou en compagnie de son âme. Il semble se lever avant que l'aube ne lui offre ses premières angoisses. Je l'ai vu plusieurs fois mourir et maintes fois renaître.

On le trouve un peu partout. Il est toujours absent de là où pourtant il se trouve. Il crève le paysage, les routes, les bureaux et les hautes instances. Il est dans les rubriques comme un produit déprécié à force d'étalage en vitrine.           

Dans la peau d'un Tahar Djaout rasant les murs comme un voleur de nuit. Comme un Meursault incompris quand il contre-enquête. Dans les toiles d'Issiakhem, brasant les nuances comme une couleur qui perd son teint de jour en jour. Le clandestin n'est pas une personne malhonnête, c'est l'homme qui tient la plume signataire qui lui ôte la cape et fait de lui une entorse à la norme. Il n'émarge sur aucun registre, il est interdit de visibilité. Ce n'est qu'une ombre dérobée qui brûle parfois le silence des chapelles et dérange les causeries réglementées.

On le voit sans voir son identité, ni pouvoir identifier les contours de son être intérieur. Une masse, un visage et un qualificatif dérisoire. L'essentiel pour un clandestin c'est qu'il fait peur à ceux qui brandissent à l'unanimité le droit de le déposséder de son éclat.

Ces gens, cette foultitude de magma vague et visqueux, tentent de lui saisir même la clarté du jour. Ils croient en emprisonnant sur sa tête les rayons du soleil l'obliger à n'habiter que la poisse des couloirs, les à-côtés des trottoirs ou le noir des isoloirs.

Tout peut se perdre pour lui à raison ou à tort qu'on lui fasse cacher ce qui se saura un jour. S'ils gèrent la société, il est la société. Si eux régentent le bonheur d'autrui, lui cherche le sien dans l'odeur d'une liberté qu'ils tentent de lui soustraire.

Le clandestin c'est toujours l'autre, jamais soi. Alors que si la bravoure vous donne assez de courage pour vous voir dans un miroir, ne le cassez pas à la première lecture. C'est vous qu'il miroite. Votre matrice, votre marque initialement déposée sans fard ni accoutrement d'ultime moment. Oui, c'est bien vous, avant que vous ne montiez sur scène, avant que vous ne passiez par les coulisses et les loges de barbouillage. Vous n'êtes qu'une mise en scène. Une pièce qui se joue pour finir comme toutes celles qu'avait connues l'estrade nationale. Quand le rideau tombe et le noir vous ensevelit vous ne trouverez que le clandestin entré sans ticket pour vous applaudir au fond d'une salle vidée et désertée.     

Lui ne regrette pas l'évasion et la froideur des salles ou les mauvais climats, il en a à satiété l'habitude.

L'on oublie cependant que même dans les soyeux fauteuils, les doux sofas, les illustres pupitres, les sièges d'hémicycles peuvent s'affaler des intrus, des sosies clandestines ou leurs cousines germaines. Nous, nous sommes plus en face d'une clandestinité ou d'une intrusion mais bel et bien d'une contrefaçon et d'une parodie quinquennale.

Le clandestin est dans la partie de ce citoyen qui n'a que sa citoyenneté comme emploi et que l'on annexe toujours à une étiquette de société civile, d'assemblée élargie ou d'association. On ne lui reconnaît son statut que par le dépôt d'une voix. Alors qu'il se place derrière chaque légalité, chaque éloquence ; il porte le nom de chaque martyr et de chaque héros.

Le mauvais n'est ni dans le temps ni dans la nature ; il n'est que dans la vision ou la sensation. Chacun de nous, avec ou sans complicité, dissimule en son sein un clandestin ou à fortiori son embryon.

Il suffit d'un précaire alea, d'un p'tit désert à traverser pour que le fœtus devienne adulte et ne quitte plus son géniteur. Le clandestin est en nous alors que les plus merveilleuses des merveilles se trouvent encore en nous. La vertu, l'élégance morale et la reconnaissance. Prenez-en soin !