Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'ossuaire des résistants algériens, cet objet de délit colonial

par Farouk Zahi

La France post coloniale a, depuis la décolonisation de l'Algérie en juillet 1962, raté mille et une occasions de faire amende honorable sans pour aller vers la repentance qui la rend épidermique à l'excès en restituant spontanément, archives, pièces mémorielles et autres reliques historiques. Rappelés au bon souvenir de la conscience humaine, les 36 crânes de résistants algériens à la colonisation française entreposés au Musée de l'homme de Paris, une première fois en mai 2011 par Ali Farid Belkadi, anthropologue et historien algérien et une deuxième fois par l'universitaire et écrivain Brahim Senouci en mai dernier, attendent d'être restitués pour être inhumés dans cette terre qu'ils avaient tant défendue. Sous forme de pétition, ces appels, même s'ils n'ont pas encore abouti à l'objectif escompté, auront eu le mérite de lever le voile sur un pan entier de la résistance de tout un peuple à la spoliation violente de son territoire. C'est ainsi que sous l'intitulé : « Les crânes de résistants algériens n'ont rien à faire au Musée de l'homme », 17 intellectuels des deux rives de la Méditerranée entre historiens, sociologues et universitaires connus, relayent l'appel des premiers nommés.(Le Monde du 09.07.2016). Parmi ces restes mortuaires, on retrouve ceux du Chérif Mohamed Lamdjed ben Abdelmalek dit « Boubaghla » venu de l'Ouest algérien dit-on pour lever une insurrection dans le Djurdjura et les Biban, Cheikh Ahmed Bouziane et Si Moussa Al Darkaoui des Zaâtcha (Tolga), Si Mokhtar ben Kouider Al Titraoui, Aissa El Hammadi dont la tête fut momifiée et le seul moulage de la tête de El hadj Benallal ben Embarek, khalifa de l'Emir Abdelkader pour la Mitidja.

Dans une contribution à l'intitulé quelque peu excessif : « Le Chérif Boubaghla et les falsificateurs de l'histoire » publiée par « L'Obs » du 04/01/2015, Ali Farid Belkadi à qui revient le mérite d'avoir en premier levé ce lièvre historique, rappelle les circonstances de l'assassinat de ce résistant et comment les têtes décapitées furent transférées en France métropolitaine de l'époque. Nous citons : « ?. Boubaghla fut traqué dans le maquis de Tazmalt, avant d'être piégé et décapité par Lakhdar Al-Mokrani, alors qu'il était encore vivant. Lettre de celui-ci à son officier traitant et chef du bureau arabe de Bordj Bou Arreridj, le Colonel Dargent. Ce dernier saisit ses autorités hiérarchiques, dont le Colonel de Neveu. Le Colonel de Neveu remet la tête de Boubaghla au Docteur E. Vital médecin chef de l'hôpital de Constantine qui collectionne les têtes de chefs de la résistance à son domicile personnel, dans sa mansarde, et non pas à l'hôpital où la présence de ces ossements aurait été tempéré par un semblant de règles scientifiques. À la mort du Dr Vital qui gardait ces trophées de guerre, son frère « héritera » de ces têtes. Le Dr Reboud désireux de faire un don au Muséum de Paris, recueille les têtes auprès du frère du Dr Vital. Les têtes parmi lesquelles celle de Mohamed Lemdjed Ben Abdelmalek, alias« Boubaghla », prennent la direction de Paris dans des barriques. Elles sont référencées depuis 1880 dans la collection dite Vital. Elles sont référencées ainsi au MNHN de Paris : N° 5940 : Boubaghla, N°5941 : Bouziane, N° 5942 : Moussa Al-Darkaoui, N° 5944 : Mokhtar Al-Titraoui. N° 259 : Saïd, Marabout Kabyle. Ainsi que plusieurs dizaine d'autres ». Fin de citation.

Nous savons grâce à ces précieuses informations, que le but du séquestre de ces restes mortuaires n'avait aucune visée scientifique-médicale ou anthropologique- mais, une sorte de hobby morbide d'un simple collectionneur qui se cachait derrière le masque d'un médecin du nom de Vital. Quant à la conservation et le transfert de ces crânes, d'aucuns penseraient ingénument qu'ils baigneraient dans du formol, solution la plus usitée pour ce genre d'opération, mais que non ! Ces restes humains ont été transbordés dans des barriques comme un vulgaire hareng salé.

Ce contentieux dont toutes les pièces sont réunies devrait connaitre un dénouement, non pas heureux comme le veut la tradition, mais moral s'agissant de crimes de guerre commis en toute impunité. Amnistiant le bourreau, la colonisation a, du coup, dénié à la victime toute reconnaissance du préjudice subi et une décente sépulture. Sous le fallacieux argument scientifique, des restes d'êtres humains ont été éhontément séquestrés pendant plus de 160 ans. Et comme à l'accoutumée, la langue de la diplomatie française fourche à chaque fois qu'il s'agit de la guerre coloniale menée à l'Algérie, le journal électronique « Médiapart » dans sa livraison du 23/12/2012, rapporte cette ahurissante déclaration de l'ambassadeur de France en Algérie : « Malgré l'exemple de la restitution des têtes maories depuis mai 2011, le précédent ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driancourt (remplacé à la veille de l'élection de François Hollande par le très sarkozyste André Parant), prétendit, lors d'un débat organisé le 6 février 2012 par le quotidien Algérie-News, que leur restitution ouvrirait la voie à d'autres réclamations, comme celles de La Joconde ou de l'Obélisque de la place de la Concorde? ».

Son excellence M.Xavier Driancourt, ancien ambassadeur de France en Algérie et qu'on ne peut soupçonner d'inculture, au contraire, aurait mieux fait de ne rien dire car cette déclaration assassine ne fait qu'exacerber la douleur de la descendance de ces illustres chefs de guerre. Faire la comparaison entre des restes humains et le tableau de Mona Lisa, propriété de l'Etat français et l'obélisque, don de Méhemet Ali, Pacha d'Egypte au Roi de France, participe plus du cynisme que de la défense, somme toute légitime, des intérêts de son pays. On ne peut comparer des objets inertes et quelque soit leur charge symbolique à un être humain à moins que la sentence : « Chacun appelle barbare ce qui n'est pas de son usage » de Montaigne ait toujours cours.

Dans son « réquisitoire » contre la colonisation violente de l'Algérie, le panel d'intellectuels prend à titre illustratif la prise de l'oasis des Zaatcha en novembre 1849 qui, après 4 mois de farouche résistance, cède sous les coups de boutoir de l'Armée d'Afrique menée par le général Emile Herbillon commandant de la province de Constantine. Venu en renfort avec sa colonne de zouaves, le colonel comte François de Canrobert participera à la curée finale. Précédé d'une réputation vilement acquise, rappelons nous qu'en 1845, il exécutait le sinistre ordre de Bugeaud au Dahra par : «Enfumez- les comme des chacals !», il ne fit pas de quartier dans l'oasis martyre.

Les pétitionnaires continuent plus loin en rappelant ceci : « ?Or, l'oasis abritait aussi des femmes, des vieillards, des enfants, des adolescents. La destruction de la ville fut totale, méthodique. Les maisons encore debout furent minées, toute la végétation arrachée. Les« indigènes » qui n'étaient pas ensevelis furent passés au fil de la baïonnette.

Dans son livre La Guerre et le gouvernement de l'Algérie, le journaliste Louis de Baudicour racontera en 1853 avoir vu les zouaves « se précipiter avec fureur sur les malheureuses créatures qui n'avaient pu fuir », puis s'acharner : « Ici un soldat amputait, en plaisantant, le sein d'une pauvre femme qui demandait comme une grâce d'être achevée, et expirait quelques instants après dans les souffrances ; là, un autre soldat prenait par les jambes un petit enfant et lui brisait la cervelle contre une muraille ; ailleurs, c'étaient d'autres scènes qu'un être dégradé peut seul comprendre et qu'une bouche honnête ne peut raconter. Des procédés aussi barbares n'étaient pas nécessaires, et il est très fâcheux que nos officiers ne soient pas plus maîtres en expédition de leurs troupes d'élite, qu'un chasseur ne l'est d'une meute de chiens courants quand elle arrive avant lui sur sa proie. »

A travers ce petit paragraphe, il est clair que le journaliste /écrivain, faute de ne pouvoir se révolter contre ceux qui donnèrent l'ordre du génocide, se rabat sur les subalternes et ceux-ci ne peuvent être que les zouaves. Tout comme l'assassinat de Boubaghla par le Caid Lakhdar Al Mokrani, ce message subliminal renvoie dos à dos et, le bourreau et la victime. Il suggère de manière gauche, du moins, ceci : « Le mal ne vous vient pas des officiers français, mais des subalternes qui ne sont que vos propres coreligionnaires ! ». On retrouve dans le registre, les mêmes postures allusives dans la presse d'alors ; le journal « Le Petit Parisien » dans son numéro 314 du 10/2/1893 consacrant sa « une » au maréchal Canrobert en médaillon entouré de quelques scènes de combat, met en avant plan un zouave. La messe est ainsi dite !

Selon une dépêche de l'APS, datée du 16 juin 2016, M. Tayeb Zitouni, le jeune ministre des Moudjahidine, a affirmé que cet épisode de guerre de mémoire pris en charge par son département, sera bientôt clos. Il est à remarquer, cependant, qu'en dépit du temps qu'aura pris cette problématique mémorielle entre les respectifs appels de MM. Benkadi et Senouci, le résultat est positif à plusieurs titres. Le premier et de loin le plus important, est la réappropriation de la chose commune par l'élite intellectuelle, le second et néanmoins décisif, est la réaction politique par l'entremise de l'exécutif. Cette complémentarité et quoiqu'on puisse en dire, ne compromet aucune conviction partisane ou idéologique d'une partie au bénéfice de l'autre.