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Au fil des jours...

par Kamal Guerroua

Aucun plaisir à toujours dépeindre le monde sous la couleur blême du pessimisme, ni moins encore à médire sur la fuite banale du temps. Car, il naît fréquemment dans la conscience profonde de chaque être humain des sensations mitigées qui, soit l'attirent vers le passé, soit le projettent dans l'orbite du futur. Du coup, ce dernier devient comme un astre perplexe qui tente de repousser tous les nuages gris du ciel, lorgnant du coin de l'œil, et avec émerveillent, la clarté bleutée de l'espoir. Or, cet espoir de rejoindre ce port lointain de l'avenir ne peut se réaliser sans que l'on ne s'immerge la tête dans le bain rafraîchissant du passé. De quoi mettre du baume au cœur de tous les nostalgiques ! Hormis quelques douloureux souvenirs comme, par exemple, la perte d'un parent, proche ou ami, un traumatisme, une guerre, une misère matérielle, un accident grave, une rupture parentale difficile, etc., il ne viendra à l'idée d'aucun d'entre nous d'effacer des sillons de sa mémoire les traces de son vécu, son enfance, les rues et les paysages de son village ou de sa ville, les rires gras de ses camarades de classe sur les pupitres de l'école et le piaillement de ces gamines-là qu'il côtoyait, aux yeux aussi espiègles que pétillants, avec parfois de jolies tresses se balançant autour du cou !

Que c'est merveilleux de replonger dans tout ça ! Les jeux de la marelle, le colin-maillard, la balançoire, les billes...De revivre l'ambiance de ces semeurs de la zizanie, combien nombreux d'ailleurs dans les salles, ou de cette cour de récréation qui grouille de voix, rythmée par les cris des écoliers et des sons de cloche, lesquels nous rappelaient à l'heure fatidique du labeur, les maîtres sévères qui sanctionnaient par des «falakas» (coups de bâton sur les mains et les cuisses) tous ceux qui séchèrent les cours ou négligèrent la révision des sourates (versets coraniques), l'odeur de la craie, l'estrade, la brosse, ces chefs de classe qui jouaient souvent aux délateurs, l'enjouement que provoquèrent les vacances scolaires...Comme sont magnifiques également cette insouciance débonnaire des concierges au portail, cette «baraka», du reste quasi introuvable de nos jours, des gens d'antan, leur sagesse, leurs sourires tant attendris et la bonté de nos parents qui, en dépit de toutes les privations et les pénuries, nous armaient du courage et de l'assurance en nous inculquant cette inébranlable foi dans les études...

Au fil des jours s'accroît l'envie de célébrer toute cette magie d'une enfance qui n'est plus là, la ressusciter, la croquer à pleines dents, en savourant ce qu'elle a de plus beau, de doux, d'ensoleillé. Et de se jeter dans ce grand train qui embarque et voyage, d'une rive à l'autre, sur le dos de grosses vagues tirées par les aiguilles de la montre...du temps. Rien ne permet, en effet, de subsister une éternité qu'un morceau de souvenir. Cette tranche de vie qui nous libère du huis-clos qui nous tient dans l'angoisse et qui nous laisse respirer ce que notre intérieur aurait, pendant des années, sauvegardé pour lui-même. Le souvenir n'est-il pas, avant tout, ce moyen idéal pour se tourner vers soi, s'occuper de sa pomme et se laisser porter par quelques avancées lyriques et élans émancipateurs de la mémoire vers l'extase ?

Et puis, cette dernière, la mémoire s'entend, n'est-elle pas cette horloge parlante de l'âme qui fait circuler du sang neuf dans nos veines, artères et neurones, nous permettant la lutte contre l'usure du temps...de l'oubli ?