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Le «nous» perdu !

par Chaalal Mourad

Dans ce pays, dire la vérité est devenu une forme de folie. Le mensonge collectif fait danser la foule aux pas de sa musique. Chaque groupe ne veut écouter que sa propre mélodie et ne désire danser qu'à sa propre valse.

Les islamistes, après avoir diabolisé la laïcité et dès lors qu'on leur parle de modernisme, de respect de la différence et des identités culturelles ou cultuelles des autres concitoyens, ils se mettent en boule et voient des laïcs partout. Les ultras laïcs, trop susceptibles à la question de la religion dans l'espace public, voient des islamistes partout.

Ceux de la famille révolutionnaire, dès qu'ils entendent parler de mémoire confisquée, de privilèges trop voyants et de devoir envers la nation mal accompli, ils voient des harkis partout. Les ultras berbéristes quant à eux, laïcs par nécessité plus que par raison, et dès lors qu'ils voient quelqu'un défendre l'arabité ou l'islam, ils réagissent au quart de tour. Selon eux, un espace public sans »Allah» et sans »arabité», ça rend plus intelligent et plus moderne. Ils en ont assez de l'arabe et de l'islam, cela leur rappelle trop de choses : la terre «volée», la culture «violée» et le terrorisme religieux, qu'ils renvoient sans cesse et d'une façon non innocente d'ailleurs, aux Arabes et à l'Islam.

Vraisemblablement, le chantier le moins achevé dans ce pays reste celui de la citoyenneté, fragilisée par des remparts idéologiques subjectifs que nous dressons les uns face aux autres et qui menacent dangereusement le vivre ensemble dans ce pays. Mais aussi, par les traitements trop préférentiels accordés exclusivement à une catégorie d'Algériens plutôt qu'à d'autres.

Les peuples qui choisissent le repli identitaire ou idéologique au progrès, font un mauvais choix. Ceux qui refusent tout consensus pour construire un avenir commun et qui s'obstinent à regarder, toujours et encore au rétroviseur de l'histoire pour affirmer leurs spécificités identitaires ou religieuses, manquent d'intelligence. Ces peuples, psychologiquement bloqués, sont dépourvus de tout projet de société. Ils partagent le même espace de souveraineté, sans pouvoir arriver à exercer leur pleine souveraineté d'une façon concertée ou de développer leur pays.

Au moment où ces peuples se chamaillent autour de questions absurdes et s'entretuent dans des luttes intestinales qui menacent leurs États-nations, on leur usurpe leur souveraineté et on l'exerce en leur nom et place. Ces peuples sont tout simplement condamnés à régresser et à demeurer dans des configurations de structures sociales archaïques, bâties sur: la tribu, el arch, le clan et el medheb (le courant religieux). Ils perdront leur place parmi la société des hommes civilisés et finiront par disparaître en tant que nation.

À travers ces débats stériles et contreproductifs, et au-delà de la portée haineuse et du rejet de l'autre, les protagonistes cherchent en fait, à faire table rase de pans entiers de notre histoire commune et nous obstruer les horizons. Les Algériens oublient alors les vrais combats, les vrais débats et les vrais enjeux que leur posent, sans cesse, le développement et la bonne gouvernance. Les dangers de ce rejet de l'autre seront plus désastreux pour le pays que ne l'était le terrorisme religieux, en ses jours les plus horribles.

Personne n'est plus musulman que les autres, personne n'est plus Amazigh que les autres, personne n'est plus patriote que les autres et personne n'est plus éclairé que le reste des Algériens.

Cessons donc de nous stigmatiser mutuellement, de nous diaboliser inutilement les uns les autres!