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Blida: Les Ramadhans se suivent et se ressemblent

par Tahar Mansour

Annoncé par les calculs pour hier mardi, le Ramadhan s'est imposé une journée avant par la grâce du fin croissant observé dans plusieurs pays du monde. Mais déjà, plusieurs journées auparavant, les Algériens vivaient frénétiquement en l'attendant et les préparatifs battaient leur plein: grand nettoyage des maisons, badigeonnage des façades, achat de nouveaux ustensiles de cuisine et approvisionnement ?immense' en produits alimentaires, comme si nous allions vivre plusieurs mois de siège ! Si au début, toute cette activité était faite pour accueillir comme il se doit ce mois sacré, la frénésie dans les achats qui s'empare des Algériens n'a rien à voir avec la piété et la ferveur religieuse qui devraient être de mise. Les achats habituels sont multipliés par dix et les familles s'endettent, dépensent jusqu'à leur dernier sou, certains ont même vendu leur voiture ou des meubles, pour répondre à ces achats massifs qui finiront dans la poubelle.

Tout le monde en est conscient, tous affirment qu'il ne faut acheter que le strict nécessaire, tous répètent que le Ramadhan est fait pour jeûner, non pour manger plus que d'habitude, mais dès l'avènement du mois, ils oublient toutes leurs belles résolutions et s'emparent de tout ce qui se vend, utile ou inutile, mangeable ou non. Les femmes achètent de nouvelles batteries de cuisine même si celles qu'elles en possèdent sont toujours presque neuves, mais : «nous devons manger dans des assiettes neuves et préparer nos mets dans des marmites tout aussi neuves, nous ne faisons par là qu'honorer Sidna Ramdhane», affirment-elles. Les hommes, eux, raflent toutes les victuailles proposées sur le marché, même s'ils savent pertinemment que ni eux-mêmes ni les leurs ne pourront ingurgiter tout cela, d'autant plus que la nuit est trop courte. Les chaînes se font à partir de 9 heures du matin devant tous les étals et vers onze heures, la marchandise commence à se raréfier et les derniers arrivants ne trouvent plus grand-chose. Même le persil et la coriandre manquent à partir de cette heure, sans parler de la viande rouge et du poulet. Quant aux diouls, il vaut mieux ne pas en parler, il faut passer commande pour le lendemain ! Une accalmie se fait sentir entre midi et 17h puis tout recommence avec les fruits hors de portée mais raflés en quelques minutes, les dattes trop chères et immangeables qui n'arrivent pas à répondre à la trop forte demande, le pain de différentes qualités qui disparaît en moins de temps que tous les autres produits, le kalbelouze pour lequel il faut faire une chaîne de près d'une heure, le leben acide et à la préparation douteuse que les clients s'arrachent et la pastèque qui trône à 100 DA le kilo (une pastèque moyenne revient entre 700 et 1.000 DA), beaucoup plus que le revenu journalier moyen du fonctionnaire normal. Pour les commerçants, c'est une aubaine qu'ils ne veulent pas rater et qu'ils provoquent même en insinuant à travers une rumeur bien entretenue que les produits demandés sont plutôt rares et qu'il vaut mieux prendre ses précautions, mais l'argument massue est qu'ils annoncent d'autres augmentations des prix, ce qui fait courir les clients qui espèrent en acquérir le plus possible avant ces augmentations annoncées. Tous les subterfuges sont bons pour vendre plus cher, n'importe quel produit, la qualité n'étant même pas citée par nombre de citoyens, encore moins l'hygiène et les conditions de conservation, reléguées au dernier plan: «Pourvu que je trouve ce que je cherche», dira M. Tout-le-Monde. En effet, les conditions de conservation de la viande, des abats de volaille, du lait, des produits laitiers, des limonades, des œufs sont dans la plupart des cas non conformes, pour ne pas dire dangereuses, comme l'exposition prolongée des limonades au soleil qui les détériore et les transforme en véritables poisons. Après le f'tour, tous regrettent de s'être laissés entraîner dans cette frénésie d'achats inutiles et voient les produits achetés jetés à la poubelle car personne ne peut ou ne veut les consommer, c'était juste une lubie, mais qui coûte trop cher, aussi bien pour le personnage lui-même que pour la communauté, surtout en ces temps de crise. Le lendemain, les bonnes résolutions prises par un ventre bien rempli sont vite balayées par le gargouillis intransigeant et exigeant de ce même ventre qui réclame toutes les ?belles' choses qui s'étalent devant lui. Heureusement que cette situation ne dure généralement pas plus de 15 jours, car il faut alors penser aux habits des enfants et aux gâteaux de l'Aïd.