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Sellal totalement désarmé face à la crise

par Abed Charef

La tripartite a révélé que le champ d'action du Premier ministre s'est considérablement rétréci.

Le nouveau modèle économique de M. Abdelmalek Sellal s'est révélé aussi peu consistant que l'état civil de Amar Saadani. C'est pourtant avec ce concept suggérant des changements d'envergure que le Premier ministre a réussi à gagner un trimestre : M. Sellal avait annoncé en mars la préparation de ce nouveau modèle, pour retarder ensuite la révélation des grandes lignes de son projet pour le mois de mai, avant d'annoncer que la primeur en sera réservée à la tripartite du 5 juin. C'est désormais chose faite.

Que propose le Premier ministre ? Peu de choses. Une pincée d'optimisme, deux grammes de rigueur, un zeste d'expertise, une fermeté de façade face à l'adversité, deux cuillerées de one-two-trisme et le tour est joué. Et ce n'est pas en y associant quelques spécialistes qu'un projet, vide, va prendre de la consistance.

Cela donne un curieux résultat. Pour faire le bilan de la tripartite, une rencontre supposée réunir les grands acteurs économiques et sociaux du pays, il faudra chercher ailleurs que dans les décisions prises ou dans les résolutions adoptées. Et là, on retient de petites choses qui font mal. Avec l'inévitable chapitre consacré à la déliquescence des institutions et la confusion qui va avec. C'est ainsi que le président du forum des chefs d'entreprises, M. Ali Haddad, a annoncé à la veille de la tripartite, que l'âge de la retraite allait être repoussé à 65 ans.

Confusion de rôles

De quel droit fait-il une telle déclaration? L'a-t-il fait avec l'accord du gouvernement, dans le cadre d'une opération aux contours mal définis, ou bien l'a-t-il fait pour son propre compte? A-t-il pensé qu'il avait suffisamment de pouvoir pour imposer cette décision, ou bien est-il, comme M. Sellal, dans les approximations et les déclarations irresponsables? Toujours est-il que face à M. Haddad, Abdelmalek Sellal s'est senti revigoré. Pour une fois, il avait le beau rôle, celui de recadrer le patron du FCE.

La deuxième curiosité de la tripartie est de voir que le document le plus cohérent qui y a été présenté est celui préparé par un collectif non gouvernemental, ne relevant ni du syndicat ni du patronat, Nabni. Les documents de ce collectif, très bien accueillis dans les milieux spécialisés, peuvent être critiqués pour leurs orientations, plutôt libérales, et leur aspect peu opérationnel, mais il s'agit de textes élaborés, cohérents, s'appuyant sur beaucoup de recherche, avec un pragmatisme remarquable. Le Premier ministre ne s'y est d'ailleurs pas trompé.

Il a tenté de puiser dans cette expertise, en recrutant plusieurs «noms» dans la périphérie de Nabni. Mais ça n'a pas eu d'effet : ce n'est pas en introduisant quelques phrases dans un programme économique qu'on le rend crédible.

Pas de suivi

Autre signe que la tripartite n'est pas sortie des chemins battus : elle a décidé de créer une commission chargée du suivi des résolutions prises. Jusque-là, la tripartite prenait des décisions pour constater, à la réunion suivante, que celles-ci n'étaient pas appliquées. La commission nouvellement créée va faire mieux : elle va confirmer le non suivi, pour établir que les décisions de la tripartite ne servent à rien. Mais elle n'aura pas le pouvoir de rectifier le tir. Elle pourra juste réintroduire les décisions non appliquées pour examen lors de la réunion suivante? Ce point pourrait à lui seul résumer ce que constitue désormais le rituel de la tripartite. Un spécialiste a noté dimanche dernier que le Premier ministre Abdelmalek Sellal a annoncé que le gouvernement va s'attaquer au problème du foncier industriel. Problème, rappelle le même spécialiste,: lors de la précédente tripartite, M. Sellal avait annoncé que ce problème serait réglé dans un délai de six mois.

Le Premier ministre devrait s'inquiéter. Pourquoi n'a-t-il rien pu faire durant ces six mois, malgré toute sa bonne volonté de rendre service à des amis ? Et qu'est-ce qui aurait changé pour qu'il réussisse, cette fois-ci, à faire ce qu'il n'avait pu faire avant ?

Exister par les réseaux

En fait, M. Sellal et ses partenaires font abstraction d'une donnée essentielle: non seulement ils n'ont pas de projet, mais ils n'ont ni la marge politique pour le concrétiser, ni les instruments nécessaires pour l'appliquer. Un ensemble de facteurs -bureaucratie, corruption, prédominance des réseaux sur l'institutionnel, fonctionnement informel, etc.-, a provoqué une sorte de paralysie générale du système. Si on n'est pas dans les réseaux, on ne peut plus avancer, comme M. Issaad Rebrab l'a appris à ses dépens. Aujourd'hui, même s'il décidait de s'approprier la démarche Nabni, M. Sellal n'aurait pas les instruments pour la mettre en œuvre. Sans oublier, évidement, le volet politique, qu'il n'est même plus question d'évoquer : s'engager dans une réforme en profondeur de l'économie ne peut se faire sans lever le verrou politique. Ce qui réduit le programme de M. Sellal à ceci : le Premier ministre fait ce qu'il peut, non ce qu'il veut, encore moins ce qu'il faut. Et ce que peut M. Sellal se limite à casser le thermomètre, de marque Laksaci, et faire glisser le dinar. Pas plus.