Le 19 novembre de
chaque année et comme à l'accoutumée, les autorités locales de la wilaya de
Guelma et leurs homologues de la wilaya de Souk Ahras
célèbrent, conjointement, la commémoration du 61e anniversaire de la mort du
martyr Badji Mokhtar,
survenue à l'aube du déclenchement de notre lutte de libération. La cérémonie
de recueillement, emplie d'une grande charge émotionnelle, a lieu au carré des
martyrs de la commune de Medjez Sfa,
devant la stèle du souvenir, érigée sur le plateau qui avait servi de scène à
l'ultime combat mené par le martyr et ses compagnons, avant de tomber les armes
à la main. Badji Mokhtar
naquit le 17 avril 1919 à Annaba au sein d'une famille modeste mais instruite.
En 1936, sa scolarité fut interrompue en raison des insupportables
comportements racistes et discriminants du corps enseignant, envers les élèves
«indigènes», et rejoignait les rangs des Scouts musulmans algériens. Dans cet
environnement plus favorable, vont se développer ses instincts d'organisateur
méthodique et de meneur d'hommes dans l'esprit aigu de l'initiative. En 1940,
il monta, sous l'égide du PPA, la première cellule des jeunes éclaireurs à Souk
Ahras. Non convaincu de l'utilité de servir le régime
colonial, lors de l'appel à la mobilisation générale pour affronter les nazis
de la Seconde Guerre
mondiale, il usa de divers subterfuges pour se faire dispenser de cette
obligation militaire. En 1944, il rejoignait le mouvement des Amis du Manifeste
de la Liberté
(AML) avant d'adhérer au MTLD. Son sens de l'initiative et de l'organisation le
propulsait au mérite d'accéder à la confiance de ses supérieurs dans le
mouvement nationaliste et se retrouvait ainsi à la tête de l'Organisation
secrète (OS) pour la région de Souk Ahras. Le premier
avril 1950, la police coloniale découvrait ses «activités subversives» dans la
foulée d'une délation méprisable et le condamnait à la peine restrictive de 3
années d'emprisonnement. Son parcours carcéral entre Souk Ahras,
Guelma, Chlef et Blida lui aurait permis de se fondre
dans le fondamentalisme actif pour la cause nationale. A sa libération, il
collabora en mars 1954 à la création du CRUA et assistera, quelques semaines
plus tard, à la célèbre réunion des 21 à Alger où il s'était vu confier la
mission de préparer le déclenchement de la lutte de libération dans le secteur
de Souk Ahras. En plein dans ses éléments et animé
d'une inébranlable détermination, il organisait et supervisait les séances
quotidiennes d'entraînement de ses hommes qu'il aurait lui-même choisis, et
mettait méthodiquement en place ses réseaux de soutien, de liaisons et de
ravitaillement (armement, informations, argent et médicaments). Aux premières
heures du premier novembre 1954, il mit à exécution son plan préétabli en
entreprenant diverses actions militaires, ciblant les intérêts coloniaux, comme
l'assaut contre la garnison stationnée dans la mine de Nadhor
et contre le train sur le tronçon ferroviaire qui traversait les monts de Mechrouha. Sa parfaite connaissance du terrain lui
permettait de multiplier sous diverses formes, les longs harcèlements contre
l'ennemi, dans une stratégie mouvante de guérilla qui consistait à marquer la
présence de ses unités combattantes à travers un essaimage des potentialités
mobiles sur tous les points dominants de son champ d'action. Le 19 novembre
1954, dans un féroce accrochage avec la soldatesque coloniale, soutenue par les
blindés, l'artillerie lourde et l'aviation, Badji Mokhtar et ses compagnons, dont une jeune femme, ont été
encerclés dans un plateau nu, à proximité de l'agglomération de Medjez Sfa. Dans le feu du
combat, les valeureux combattants avaient tenté une action de repli mais cette
action de diversion pour la survie échoua devant le surnombre des troupes
aéroportées qui les avaient fauchés à la mitrailleuse. Badji
Mokhtar tomba les armes à la main comme ses
compagnons dont la jeune femme qui se prénommait «Dzaïr»,
à l'aube de la jeune révolution, traçant ainsi la voie à d'autres hommes et
d'autres femmes, qui ne vont pas hésiter à reprendre le flambeau pour aller sur
l'autel du sacrifice suprême, sur cette terre qui allait rester en perpétuelle
insurrection contre le régime colonial spoliateur, avilissant et déshumanisant.
Cette
commémoration nous interpelle, encore une fois, pour revisiter notre histoire
et retenir les enseignements sur les hautes valeurs qui ont imprimé notre
personnalité et notre glorieuse marche, dans la douleur et la souffrance d'un
peuple qui n'a pas fait une «révolution de palais» ou une «protesta de
barricades», mais un peuple qui avait puisé dans ses seules profondes énergies,
pour accomplir l'une des plus prestigieuses épopées de libération dans
l'histoire contemporaine. L'Histoire a retenu que le colonialisme reste une
entreprise criminelle contre l'humanité et les 132 années d'oppression ont été
balayées par 132 années de résistance de tout un peuple, mobilisé derrière son
élite combattante. En ces moments de recueillement, avec autant de charges
émotionnelles, dans la dignité, le souvenir ranime encore la flamme de
novembre, sur les réminiscences de la mémoire qui ne cessent d'infliger depuis
plus de 60 années, aux légions fourbes de la cinquième colonne, la sensation
douloureuse d'être passées hier à côté d'une cause noble. Pour l'heure, il y a
l'opportunité de renouveler le serment fait à nos martyrs, en y mettant de
notre sueur dans la construction du pays et rejoindre allègrement les nations
évoluées. Novembre reste le mois qui symbolise l'osmose de l'espoir et de la
certitude et les vicissitudes de la vie ne doivent pas nous détourner de notre
respect à ce serment, en nous regardant dans une glace et dire si, réellement,
nous sommes les dignes héritiers de nos martyrs.