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L'ignorant est-il le plus heureux des hommes ?
par Ahmed Farrah
Au
début des années 1980, constatant la dérive civique et les attitudes saugrenues
de la plus part des Algériens, les autorités de l'époque avaient pris le bélier
par les cornes pour dresser et dompter les récalcitrants. Les compagnies de
police «CNS», armées de leurs matraques, ont essayé en vain d'éduquer ceux qui
ne respectaient pas les feux tricolores et ceux qui empruntaient la chaussée et
gênaient la circulation des automobilistes. Quoique cette initiative puisse
être jugée abrupte et tyrannique vue sous le prisme actuel, mais quand on pense
à l'incivisme qui s'est décuplé et qui s'est propagé à toute la société, on ne
peut que rester songeurs sur la façon de régler, une fois pour toutes, ces
dysfonctionnements comportementaux. Sinon comment explique-t-on que des
étudiants universitaires puissent se disputer, de monter dans un bus vide, en
provoquant des bousculades de gladiateurs ? La galanterie est méconnue ! Le
respect des personnes âgées est d'un autre temps que les moins de vingt ans ne
connaissent pas ! Les piétons croient que le feu rouge est là uniquement pour
réguler la circulation des automobilistes et ces derniers ne respectent la
signalisation que selon leur bon-vouloir. L'anarchie
s'installe dans les rues et les artères, les ronds-points s'engorgent et
bloquent le trafic. La priorité à gauche devient la règle dans le sens
giratoire même en l'absence de plaque triangulaire. Les klaxons donnent
l'impression d'une atmosphère folklorique, ils ne leurs manquent que les
youyous et le ?bendir' et ?diwan-essalhine'
pour distraire les excités. Les voitures slaloment d'un couloir à un autre. Les
passages pour piétons sont inutiles. La ligne continue est ignorée. Les
limitations de vitesse en ville est une hérésie. Le
stop fait peut-être ralentir mais n'arrête pas grand-chose. Les chauffeurs de
bus courent dans tous les sens et s'arrêtent au petit doigt levé. Les stations
d'arrêt de bus portent des noms burlesques. Concurrencés par des clandestins,
les taxis se moquent de gêner le trafic et ne prennent que les clients qui vont
vers les destinations qui les arrangent. Les taximètres appartiennent à une
autre époque. Le prix de la course est fixé à la tête du « voyageur ». Les rues
piétonnières furent une expérience sans lendemain. Le tramway ne s'est pas
encore réintégré dans son paysage d'antan. La déliquescence est dans chaque
carrefour épiée par des couples d'agents de la circulation qui n'y peuvent
rien. La confusion fait le décor quotidien de notre environnement. Et on s'en
fiche ! Qui sont les responsables de marasme éreintant ? En tous cas ce ne sont
pas les autres ! C'est moi, toi, lui et elle qui sommes responsables de cet
abyme. C'est nous, tous, qui sommes incapables de vivre l'urbanité. Nous
traînons avec nous notre, ruralité d'esprit qui ne veut pas nous quitter. Elle
suit nos ombres partout où l'on va. Elle ne nous lâche pas les baskets. Elle
est collée à nos semelles. Nous vivons des contradictions insensées, nous
n'avons rien à envier, matériellement, parlant aux peuples dominants mais nous
manquons de leur sens créatif respectueux de la nature et de l'espace vital.
Nous aimons le désordre et nous nous retrouvons dans les méandres. Amsterdam a
supprimé la signalisation dans ses rues pour faire des économies et les
investir dans le bien-être de ses citoyens, ceci ne les a pas empêchés de
circuler dans des rues fluides et écologiques. Sait-on qu'il n'existe qu'une
seule et unique plaque de Stop à Paris ? Pourtant il y a moins d'accident de la
circulation dans cette mégapole que dans le petit douar de Ouled-Ogab.
Sommes-nous conscients de ce qui nous arrive ? Non pour beaucoup d'entre nous
qui n'avons aucun repère dans notre vécu et nous sommes heureux ! Comme disait
Martin Luther King « Rien n'est plus dangereux au monde que la véritable
ignorance et la stupidité consciencieuse ! »
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