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Ghardaïa: l'Algérie paie l'addition de sa posture internationale !

par Abdellatif Bousenane

Les évènements tragiques qui ont secoué Ghardaïa la semaine dernière nous renseignent effectivement sur nos limites internes et nous rappellent qu'on ne vit pas dans une île isolée mais dans un monde cruel. Ces évènements surprenants, sans revendications ni un mobile bien précis, laissent perplexe.

Afin de bien expliciter notre problématique et pour ne pas s'égarer dans notre analyse, il ne faut pas réduire cette région du pays à une rivalité entre deux communautés qui vivaient en paix et en harmonie depuis des siècles, puisque à Ghardaïa la vie sociétale est aussi complexe que le reste du pays. Dans le champ politique il y a en fait des progressistes, des nationalistes, des islamistes, des laïcs, etc. Du même pour le champ économique où il existe comme dans n'importe quelle société des rapports de force entre différents intérêts individuels ou collectifs. Dès lors, on peut comprendre la dynamique et le changement sociales à travers plusieurs paradigmes d'analyse tels que la théorie marxiste de la domination, la sociologie de l'action webernienne ou même la théorie morale durkheimienne, mais il est nullement question ici d'un simple différend entre deux confessions ou/et deux ethnies ! Ce serait d'une banalité outrée.

A partir de là on voit clairement que le vrai problème n'est pas de cette nature-là mais l'arrière-pensée et les vraies motivations de ce qui s'est passé à Ghardaïa sont ailleurs.

LE VRAI PROBLEME ?

Les vraies motivations peuvent êtres économiques, là où les intérêts de groupes et de lobbys ne seront pas satisfaits sans le recours à ces méthodes de déstabilisation pour qu'ils puissent ensuite négocier d'une position de force quand la clef de la solution sera dans leurs mains. Cela est une hypothèse universelle plausible dont plusieurs observateurs l'ont évoqué lors de ces incidents. Cependant, ça reste une réponse un peu courte à nos questionnements car elle n'inclut pas toutes les autres dimensions. La dimension politique du problème est aussi une piste sérieuse. La volonté de mettre les gouvernants en difficulté est palpable dans les deux camps qui n'affichent pas une réellesympathie au fameux système.

Néanmoins toutes ces pistes restent insuffisantes pour répondre au plus grand dilemme dans ce dossier qui est l'absence de revendications ! Dans tous les incidents de ce genre les antagonistes impliqués annoncent explicitement leurs revendications plus ou moins rationnelles afin qu'il y ait des discussions dont l'objectif est de satisfaire une partie ou la totalité de ces revendications. Mais là aucune revendication ! Bizarre ! Sinon de supprimer les malikites/Cha'anbas ou les ibadites /Mozabites? Invraisemblable ! D'autant plus qu'il y a un élément manquant qui constitue un vrai cassement de tête aux enquêteurs et services de sécurité : c'est le mobile du crime ! Pourquoi on a tué 22 personnes ? Pour quel motif?

Un proverbe français dit : « Quand c'est flou c'est qu'il y a un loup ». Ainsi cette question nous amène à poser une autre hypothèse, celle de la domination et du complot étranger. Toutefois, quand on évoque le complot ce n'est pas forcément pour désigner uniquement les puissances occidentales officielles car, et comme nous l'avons signalé dans une précédente publication au Quotidien d'Oran, l'Occident n'a pas intérêt à la déstabilisation de l'Algérie pour de multiples raisons quoi qu'il n'a pas intérêt non plus qu'elle devienne une très grande puissance. Cela est le b.a.-ba de la logique hégémonique car on ne veut pas voir une nation arabo-musulmane puissante et indépendante qui menacerait la géostratégie des dominants. Pour contrôler, pour empêcher notre pays d'avancer il faut chercher la faille, le point faible sinon il faut le créer. Cette faille peut s'incarner dans la fitna entre ibadites et malikites à Ghardaïa en espérant de la faire propager aux autres régions du pays le moment opportun.

Un objet décisif dans ce genre d'enquête, c'est l'arme du crime, selon les premières conclusions les armes saisies provenaient de la Libye donc de l'étranger ! Ce pays dont des cercles obscurs veulent en faire l'Afghanistan de l'Afrique du Nord, pour contrôler et dominer encore et toujours.

Puis la couverture médiatique très partiale de ce drame par une partie de la presse française et deux chaînes de télévisions, France 24 et Medi 1, qui ont un lien très fort avec El-Makhzen marocain. Ce même régime ne pardonnerait jamais à l'Algérie son soutien à l'autodétermination du peuple sahraoui, de ce fait il veut créer la même situation dans cette région algérienne afin d'apaiser les pressions et tordre le bras à la diplomatie algérienne. On peut supposer par conséquent que l'Algérie paie son engagement pour la paix dans la région et pas seulement au Sahara Occidentale mais au Mali aussi, en Libye, au Niger, en Tunisie etc. Dans cette perspective, il ne faut pas sous-estimer les déclarations lourdes de sens de nos officiels notamment lorsqu'ils affirmentqu'il y a des jeunes payés par un pays frère. Sans oublier les déclarations qui nous viennent de l'étranger comme celles d'Abdel-Bari Atwan, journaliste arabe très médiatisé, qui affirmait qu'il détient des preuves tangibles sur le complot étranger à Ghardaïa. Un autre élément très troublant c'est l'arrestation à Ghardaïa de deux agents du Mossad israélien munis du passeport espagnol il y a quelques années de cela. Qu'est-ce qu'ils faisaient à cette ville précisément?

Bref, il y a une espèce d'union entre des cercles connus par leur hostilité à l'égard de notre pays qui veulent vraiment le chaos, El-Makhzen marocain bien évidemment et des puissances officielles qui n'accepteront jamais qu'un pays arabo-musulman échappe à leur contrôle mais qui ne souhaitent pas sa déstabilisation. Ce n'est pas leurs intérêts du moment.

LE FRONT SACRE !

Etre très vigilant face à la main de l'étranger, à juste titre, ne doit pas nous aveugler sur notre responsabilité citoyenne. D'abord, sur la vigilance de nos services de sécurité, sur la conscience de nos médias, là où nous avons vu, malheureusement, comment certains médias nationaux ont pris parti et ils ont tombé ainsi très bas en jetant de l'huile sur le feu, en ethnicisant le débat alors qu'une large majorité des Ghardaouis eux-mêmes appellent à la paix, à la dénonciation de la fitna, au vivre ensemble comme ce fut le cas à travers les siècles. Ces gens, bien de chez nous, et malgré leur nombre très limité, heureusement, ils ont toujours cette vraie tentation de jouer sur tous les cordes de la discorde pour des fins très peu intelligibles.

Si les vraies motivations de ces incidents douloureux, qui ont touché tous les Algériens dans leurs sentiments les plus profonds dans ces jours sacrés, ne sont pas très alarmants pour la cohésion sociale puisqu'ils ne sont pas de nature ethnique et/ou confessionnelle, mais la manipulation qu'en a était faite par certains médias, certains militants politiques et « intellectuels» constitue, à mon sens, la vraie source d'inquiétude. Cette partie, certes très minoritaire dans sa lecture à l'actualité de notre pays, n'arrive pas à dépasser ses sentiments d'appartenance à une composante ou une autre de notre identité nationale pour aller enfin à une analyse basée sur des idées, de l'idéologie, de la raison et éviter ainsi le piège de l'esprit tribal archaïque. Nos frères à Ghardaïa n'ont pas beaucoup le choix en réalité car les malikites ne comptent pas déménager et les ibadites non plus, Ghardaïa est pour tous ses enfants.

Il y a beaucoup de choses à dire sur le laxisme du gouvernement, sur les attitudes des uns et des autres qui frôlent le racisme, sur notre identité, sur les défaillances et les lacunes mais je pense que le temps n'est pas aux reproches. Quand un feu se déclare dans une demeure, ses habitants commencent d'abord par éteindre le feu puis ensuite vient le moment de préciser les responsabilités de chacun. Dans ces moments délicats on doit être tous dans le même rang, gouvernants, opposants, société civile, médias et intellectuels. On doit tous parler d'une seule voix pour dire qu'on n'a pas le droit à l'erreur, on n'a pas le droit à la division et le maître mot ne doit pas être autre que: Paix !