Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

De la culture de l'abrutissement

par Ahmed Farrah

En ces veillées ramadanesques, la médiocrité des programmes de télévision proposés est à l'image de l'avancée du désert culturel qui efface toute trace artistique digne des grands noms de personnages talentueux qui ont fait l'âge d'or du théâtre, du cinéma et de la chanson dans un contexte qui ne fut pas propice. Avec des moyens dérisoires, mais avec beaucoup de volontés et d'engagement, des artistes et des comédiens ont fait le bonheur des Algériens pendant la période coloniale et les années qui ont suivi le recouvrement de l'indépendance. La production cinématographique s'est d'abord inspirée de la guerre de libération et s'est distinguée dans de nombreux festivals internationaux, avant de se pencher sur les problèmes sociétaux. De magnifiques longs-métrages restent encore très bien accueillis quand ils sont rediffusés, à l'exemple des films : « Les vacances de l'inspecteur Tahar ? Carnaval fi Dechera ? Le Clandestin? ». Les sketchs de Boubagra, Rouiched, Kaci Tizi-Ouzou, Krikech, Djaâfar Bek, des frères Hilmi, Nouria, Hamza, Ouardia?, des chefs-d'œuvre du rire et du divertissement intelligent loin des débilités déversées par la plupart des chaînes satellitaires, aujourd'hui. Le téléspectateur perdu dans ce torrent d'images ne fait que zapper d'une chaîne à une autre pour trouver ce qui peut le capter, souvent, il décroche et se branche sur des chaînes étrangères diffusées par le « Nil satellitaire ». Ces chaînes encore plus médiocres mais synchronisées avec la tendance du repli sur soi, du repli identitaire et communautariste de la majorité des peuples de la région, ne font qu'accentuer le fossé entre un passé difficile mais paisible, tolérant, solidaire et ambitieux, et un présent qui affiche l'arrogance matérielle et le tarissement des valeurs humaines et sociales. La culture et l'art sont aussi devenus des produits marchands abrutissants qui visent les masses et l'audimat. Baisser le niveau pour se mettre à la hauteur des petits cerveaux, est la stratégie mercantile développée et pratiquée. Le service public censé corriger ces incohérences et proposer des produits de qualité selon les tranches d'âge et les plages horaires, semble oublier la mission qui lui aurait été destinée. A quoi bon avoir cinq chaînes en une grille de programmes, prendre tous les Algériens pour des imbéciles, ne fera que jeter certains dans les bras de ceux qui les décervellent pour en faire des zombies « au sens propre des informaticiens » pour les utiliser au moment opportun. D'autres, des intellectuels, ont déjà coupé les ponts avec la culture de la pensée unique, n'ont que le corps ici, la tête est ailleurs, en Occident et le cœur ballote et vacille d'une rive à l'autre, ils aiment leur pays mais détestent ce qu'il en est advenu. Situation très dangereuse qui n'est pas pour rendre réelle la cohésion sociale d'un peuple déjà ressenti pluriel.