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Gouvernement : Un «correctif», une autre lecture

par Ghania Oukazi

L'expérience de la gestion de portefeuilles ministériels par des «binômes» a toujours posé au gouvernement des problèmes d'interférence entre les prérogatives, de divisions au sein de l'encadrement ou simplement d'absurdes incompatibilités d'humeurs.

Le partage des missions opérées par le président de la République entre Ramtane Lamamra et Abdelkader Messahel est venu confirmer, si besoin est, cet état de fait. L'on se rappelle les bouderies entre Barkat et Benaïssa, le premier, ministre et le second, ministre délégué d'un même secteur, l'agriculture. Au début de leur nomination en tant que tels, ils ne se quittaient pas d'une semelle jusqu'à venir et rentrer ensemble chez eux dans un même véhicule. Il a fallu à peine quelques mois pour que cette lune de miel se transforme en un véritable calvaire pour l'ensemble des personnels du ministère. Les deux responsables, non seulement se disputaient les prérogatives et même les cadres mais ne se parlaient plus. Le «binôme» Hraoubia-Bendjaballah n'a pas fait mieux au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Chargée par le président de la République de s'occuper de la recherche scientifique, Bendjaballah n'a jamais pu exercer sa fonction comme il se doit ou comme elle l'entend. Hraoubia l'en avait toujours empêchée. Elle stagnait presque dans un département qui pourtant avait expressément besoin de dynamisme et d'innovation. Benyounes- Boudjemaa à l'environnement se sont déclaré la guerre au sujet de leurs prérogatives respectives dès leur installation. Meslem-Benhabyles, la première, ministre de la Solidarité et la seconde, présidente du Croissant rouge algérien, se lancent des piques acerbes à chaque fois qu'il s'agit pour elles de diriger une campagne d'aides au niveau local ou externe. Leur incompatibilité d'humeur transpercerait jusqu'aux écrans des télévisions. C'est dire que toutes les expériences de gestion «collective» de portefeuilles ministériels, celles-là et bien d'autres, n'ont jamais été d'un niveau pouvant dépasser celui des bouderies, des humeurs et des cancans.

Le «couple» Lamamra-Messahel n'a pas échappé à cette règle, même s'il lui est reconnu une intelligence que ne pourrait se targuer d'avoir l'ensemble du gouvernement réuni. Depuis leur nomination au ministère des Affaires étrangères, Lamamra en tant que premier responsable et Messahel second puisqu'il était ministre délégué aux Affaires maghrébines et africaines, l'on entendait toujours dire qu'ils se supportaient à peine.

QUAND BOUTEFLIKA REVIENT A DE MEILLEURS SENTIMENTS

La prise en charge totale et «sans partage» des conflits, notamment africains, par Lamamra déplaisait à Messahel qui se réclame spécialiste du cœur du continent pour avoir «géré» ses affaires pendant de longues années. Il faut reconnaître aux deux responsables leurs grandes expériences dans ce même domaine. Lamamra a lui aussi évolué en Afrique durant les années où il occupait des postes au sein de l'Union africaine non sans avoir fait, auparavant, une traversée du désert pesante pour un diplomate qui n'avait rien à prouver à personne ni à aucune autorité. Des hauts responsables disaient à l'époque que l'Algérie perdait beaucoup en ignorant les grandes qualités d'un diplomate aussi docte que Lamamra. L'on susurrait surtout que Bouteflika ne l'aimait pas «juste comme ça». Il a fallu attendre plusieurs années pour que le chef de l'Etat revienne à de meilleurs sentiments et fait appel à lui pour gérer les Affaires étrangères. Les observateurs décernent d'ailleurs au ministre des bons points pour avoir hissé la diplomatie algérienne au rang qui lui sied depuis qu'elle est née. Parfait orateur en plusieurs langues, fin diplomate, Lamamra, pourtant poids lourd physiquement, met toute la souplesse dans ses gestes et propos lorsqu'il s'agit d'expliquer et de commenter des problématiques complexes ou d'affirmer «la raison d'Etat.» Il a fait trop d'ombre à son ministre délégué. «Messahel rouspète depuis longtemps pour être ministre à part entière, il estime qu'il a beaucoup donné en matière de diplomatie, notamment pour ce qui est de l'Afrique et de l'ensemble de ses problèmes,» nous disait hier un haut responsable.

«ALORS SIMPLE OUBLI ?»

Le partage des Affaires étrangères entre les deux responsables a été peut-être le sujet le plus débattu au sein de la presse et surtout des analystes politiques qui ont été unanimes à le qualifier de «maskhara.» Le correctif que Bouteflika a effectué lundi dans ce partage n'a pas été non plus mieux vu. Mais il vient encore une fois conforter cette idée de désaccord et d'incompatibilités d'humeurs qui empestent l'atmosphère dès que la gestion d'un ministère est partagée entre deux responsables. Lamamra et Messahel se boudaient comme tous les autres dans le même cas. «Ceux qui pensent que le correctif de la présidence de la République est l'œuvre de divisions au sein des centres de décision n'ont rien compris à tout ce qu'a fait Bouteflika, depuis 1999 à ce jour, au niveau des cercles des pouvoirs,» relèvent d'anciens militaires. «La logique est qu'en tant que ministre des Affaires étrangères, Lamamra prend en charge la coopération internationale,» nous disent-ils. «Messahel se retrouve ministre des Affaires maghrébines, de l'Union africaine et de la Ligue arabe ; que reste-il alors à Lamamra ?» interrogent des diplomates étonnés. «Les Etats-Unis», répondent nos sources, non sans rire. Alors simple oubli ? Redéfinition de missions dont le poids en ces temps de partage du monde doit être minutieusement pesé ? Ou autres considérations d'équilibres à préserver, alors qu'il est prouvé que les pouvoirs sont centralisés au niveau d'El Mouradia ?

«Errare humanum est, perseverare diabolicium (l'erreur est humaine, persévérer (dans son erreur) est diabolique, auraient dit les Latins,» pensent des universitaires. Il aurait en effet été absurde de charger Lamamra des Affaires étrangères et de donner la coopération internationale à Messahel. «Ils se seraient encore une fois entremêlé les prérogatives, même si être ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères fait indéniablement de Lamamra le numéro un de la diplomatie algérienne.» La présidence de la République est seule à savoir prendre des décisions qui étonnent, inquiètent et sèment le trouble. Sinon, l'on aurait compris pourquoi elle a gardé des ministres et renvoyé d'autres alors que les uns et les autres ont fait partie d' un gouvernement que les observateurs ont qualifié de plus mauvais qu'est jamais connu le pays.