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8 mai 1945, un massacre qui n'a pas révélé tous ses secrets

par Rekibi Chikhi

L'étape de Constantine du colloque international sur les massacres coloniaux a pris fin hier dans la grande salle des conférences de l'université des sciences islamiques Emir Abdelkader par « une journée sur les massacres de mai 1945 et leurs répliques ».

Le premier communicant, Ahmed Bendaoud, de l'université d'Oran, a souligné en faisant la synthèse du livre de Jean-Louis Plache, « Sétif 45, histoire d'un massacre annoncé », que « le 8 mai 45 n'a pas encore révélé tous ses secrets. Les poètes sont invités ainsi que les artistes à immortaliser ce massacre ». Le lien entre le 1er mai et le 8 mai 45, a été bien établi par l'historien français, « un mouvement pacifique mondial, déclenché le 1er mai en signe de victoire contre le fascisme, auquel ont pris part naturellement les Algériens y étant fortement et de force engagés à le combattre comme soldats en Europe. Le drapeau algérien hissé et des slogans tels que vive l'Algérie ont contre toute attente été cruellement réprimés par les Français ». Une armada d'armes très sophistiquées à cette époque a été déployée par l'armée française, des bombes de 10 à 15 kg, une arme, à large impact sur la terre et défigurant le visage a été également utilisée, un fait scandaleux face à l'implication très positive, des Algériens aux côtés des Français dans leur combat contre les Allemands, « à tel point que les Anglais ont refusé d'en approvisionner les Français par crainte de détériorer leurs relations avec le monde arabe », souligne Bendaoud. Des tribunaux dont les procès ne duraient pas plus de trois minutes aboutissaient à des exécutions faites le jour même. « Le livre de J.L. Plache, cet historien et chercheur académique, étant basé sur des archives de Matignon, de la Défense, et des témoignages, a enrichi la bibliothèque algérienne et représente une matière première crédible aux chercheurs », souligne l'orateur à la fin. Gilles Manceron, historien et vice-président de la Ligue française des droits de l'homme, commencera son intervention par dire que « la vérité finit toujours par émerger, ce massacre est un scandale du fait qu'il soit intervenu, suite à un troisième appel de libérer l'Europe du nazisme, et qu'il n'ait pas suscité une indignation à hauteur des faits ». Et d'ajouter « la vérité a été travestie, une indignation très limitée en Amérique, contrairement aux massacres commis en Europe, les massacres commis contre les populations coloniales ne soulèvent pas de regrets ». Manceron soulignera que « des petits pas, à ne pas minimiser, ont été faits, quelques gestes officiels de la part d'ambassadeurs et du président français François Hollande en visite d'état en Algérie en 2012, d'autre part, des organes de presse, associations, partis, syndicats, hebdomadaires, quotidiens, tiendront un rassemblement aujourd'hui (8 mai), à Paris et ailleurs en France, pour demander des actions plus grandes. Le site Mediapart, diffusera le film de Mehdi Laalaloui et un complément sur Guelma ». « Il y a des forces mêlées à des politiques coloniales qui ne se sont pas résolues à quitter les territoires, qui refusent de remettre en cause ces massacres, étant plus ou moins mêlées à ces massacres dans des moments de très lourdes ambiguïté, elles refusent de revisiter leurs propres attitudes ». Le conférencier terminera par dire qu'« il ne suffit pas d'avoir de bonnes intentions, mais de faire un travail de confrontation historique, et de ne pas instrumentaliser l'histoire à des fins politiques, le drapeau national a été effectivement brandi le 8 mai, mais il fut aussi brandi auparavant par l'immigration, il faut restituer cette histoire dans la précision, la connaissance et son exactitude s'impose, même s'il n'y a pas de procès ». Quant à Benjamin Stora, l'historien et président de la Cité de l'Immigration, il a expliqué « les mécanismes de l'oubli et le va-et-vient entre la fabrication de l'oubli et la préservation de l'histoire, au sein de la société française ». Il a partagé pour cela son étude en trois séquences, la première « de 1945 à 1955, immédiatement après le massacre, l'oubli va être très vite installé, les deux formations, gaullistes et communistes dominent la scène politique et culturelle, De Gaulle n'a dit aucun mot dans ses mémoires à propos de ce massacre ». La deuxième séquence va de la guerre d'indépendance jusqu'à l'après-guerre, « l'accent est mis sur les violences, le déroulement et même la fin, en oubliant la question décisive qu'est l'origine de la guerre. La vie intellectuelle française avait une constante qu'est la profonde méconnaissance des aspirations du mouvement nationaliste algérien par rapport à celui français, j'en suis toujours frappé. 100.000 adhérents au manifeste, c'était un mouvement de masse ce qui explique l'énormité de la répression ». La dernière séquence c'est le retour et la réémergence du 8 mai 45, « des déclarations d'ambassadeurs en 2005, 2008, et de François Hollande en 2012, la bataille livrée par les enfants et petits-enfants de l'immigration pour projeter plus de lumière sur les massacres commis à Paris le 17 octobre ». De 1990 à 2000, un travail en commun entre historiens algériens et français voit le jour, à l'instar du livre co-écrit avec l'historien algérien Harbi. L'historien a la tentation de réécrire et rétablir les faits, « les chercheurs sont toutefois accusés soit de faire de la propagande à de fins politiques, soit qu'ils cherchent la repentance. Ce travail de recherche est beaucoup plus difficile ces dix dernières années », notera-t-il à la fin de son allocution. En marge du colloque et en réponse à notre question si la médiatisation des procès faits aux génocides tels que celui de Pinochet ont eu un impact sur les œuvres scolaires, Gilles Manceron nous a répondu, « le nouveau programme qui traite de nouveaux sujets non abordés auparavant tel que l'Islam et des royaumes subsahariens, rencontre un refus, on assiste plutôt à une offensive réactionnaire qui remet en cause tous les travaux élaborés, une campagne d'opinion menée non par le milieu éducatif mais dans la presse, le Figaro Magazine, à titre d'exemple ». Quant au droit de regard en tant qu'organisation, sur les archives, notre interlocuteur dira « nous avons un problème d'accès aux archives ». Benjamin Stora nous expliquera pourquoi le travail de chercheur dans le domaine de l'histoire est devenu plus difficile ces dix dernières années, « bien que ce sont les socialistes qui gouvernent la France, c'est le Front National qui domine, il est implanté dans la société française ».