L'Algérie est nostalgique. Un chouia, bel bezaf, trop beaucoup. L'Algérie d'aujourd'hui a le mal d'hier, de ses siècles derniers et ne rate aucune occasion pour convoquer le passé et le conjuguer au présent de l'impératif. Un temps qui, contrairement à la conjugaison officielle, ne se conjugue, en Algérie, qu'à la deuxième personne du singulier. TOI. Toi, tu votes. Toi, tu marches en rampant. Toi, tu applaudis le roi et la Cour. Toi, tu respires et tu fermes ta gueule. Toi, tu es content des ministres de la République, de leur travail et de leur patrimoine. Toi, toi, toi. Toi, tu voles ou on te vole. Tu frappes ou on te tue. Tu mens ou on t'envoie en prison avec Khalifa. Tu es une statistique, un alibi dans un programme de relance. Toi, tu es content des anciens colonisateurs qui reviennent après avoir été chassés de cette terre. Ils reviennent en conquérants, invités par la grande porte par ceux qui sont censés nous protéger. Ils reviennent pour finir le boulot commencé lorsque leurs armées respectives ont foulé le sol de l'Algérie. Ils n'ont ni mousquets ni sabres ni canons, encore moins d'avions de chasse. Ils n'ont pas débarqué à Sidi Fredj ni au port d'Oran. N'ont construit ni fort ni fortification. Pourtant, ils sont là.

Toi, tu les vois et tu t'écrases. Ils ne sont pas venus pour ta pomme mais appelés à faire des affaires sur ton dos. A fructifier l'oseille d'en haut, de ceux qui regrettent ton existence, qui te dénigrent dans les salons du monde. «Oh, tu sais ma chère, les Algériens c'est rien que des sauvages, des bons à rien qui n'ont ni culture ni savoir-faire», tu les entends pérorer sur ton compte mais tu n'y peux rien parce que c'est toi et que l'Algérie des étages supérieurs se conjugue sur ton cadavre en sursis. Ils sont revenus nos anciens colons. Ils sont en terre conquise signant chèques et contrats. Raflant les projets du siècle, enfin pour rester dans la définition officielle d'une autoroute rapiécée. Pour résumer l'histoire de l'Algérie en une phrase : Les Turcs ont chassé les Espagnols avant d'être éconduits par les Français. Puis il y a eu la Révolution qui bouta les Français hors de l'Algérie, mais pour un temps seulement puisque tous les colonisateurs d'hier sont revenus avec des billets gratuits pour participer à la razzia. Les entreprises turques et espagnoles ont monopolisé les chantiers de construction, les Français n'ont jamais quitté leur ancienne colonie. Une chasse-gardée qu'elle défend sous nos yeux aveugles. Quant aux Chinois, même s'ils n'ont pas fait partie de nos colonisateurs historiques, ils nous ont quand même colonisés en s'installant par le travail comme ils ont colonisé le monde entier sans que personne ne s'en aperçoive. Ce n'est pas moi qui le dit mais Jack London.