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Même si les appels en faveur d'une intervention
musclée pour lutter contre les passeurs de clandestins en Méditerranée se
multiplient, l'emploi de la force est illusoire et impossible en la matière,
assurent des experts. Mercredi, à la veille d'un Conseil européen
extraordinaire convoqué en urgence à Bruxelles après des naufrages meurtriers
de bateaux de migrants, des responsables italiens ont réitéré leur désir de
voir l'UE «combattre les marchands d'esclaves du XXIe siècle». Et mardi le
Premier ministre britannique David Cameron avait dit vouloir empêcher les
migrants de prendre la mer. «Il faut le dire clairement», assure à l'AFP
l'ex-amiral français Alain Coldefy, «cette question est totalement insoluble en
termes militaires. Des responsables politiques m'ont plusieurs fois posé la
question de ce qu'on pouvait faire pour endiguer ce trafic par la force, et la
réponse est simple : rien». «Une fois que ces bateaux chargés de migrants ont
quitté les eaux libyennes, on ne peut qu'appliquer les règlementations
internationales, c'est-à-dire porter secours aux personnes en danger», ajoute
l'ex-officier, ancien inspecteur général de l'armée française. «Comment
voulez-vous empêcher ces embarcations de prendre la mer : en leur tirant dessus
? Les marines de guerre ne sont absolument pas faites et équipées pour ce genre
d'opération». «Ce qu'on sait faire, c'est prendre le contrôle de grosses
unités, de paquebots ou de cargos : on descend des forces spéciales depuis des
hélicos, ils s'emparent de la passerelle et du navire», ajoute-t-il. «Mais avec
ce genre de bateau bourré de clandestins en panique, c'est impossible». Le
ministre italien de l'Intérieur Angelino Alfano a également suggéré, pour
«lutter contre les marchands de mort», de «couler leurs bateaux avant qu'ils ne
prennent la mer». Pour l'auteur britannique Matt Carr (auteur du livre
«Fortress Europe, dispatches from a gated continent»), «l'idée de détruire tous
les bateaux sur la côte libyenne n'a tout simplement aucun sens. Comment faire
la différence entre un bon et un mauvais bateau ? Et les simples pêcheurs qui
ne cherchent qu'à gagner leur vie ? «Se focaliser sur les passeurs est une
façon trompeuse et hypocrite d'envisager le problème», ajoute-t-il. «C'est un
à-côté. Cela permet à l'Europe d'éviter de voir que les trafiquants n'existent
que pour aider les candidats à l'immigration à contourner les restrictions que
l'Europe a mise en place».
Quant à établir un blocus maritime des côtes libyennes ou à en contrôler les ports, cela équivaudrait à une entrée en guerre, inenvisageable sans une résolution des Nations Unies. «Prendre le contrôle des ports libyens, cela voudrait dire une opération internationale, une décision de l'ONU et là à coup sûr pour commencer la Russie y mettrait son véto», précise Alain Coldefy. «On les a un peu blousés en 2011 (lors de l'opération internationale qui a abouti à la chute de Mouammar Khadafi), cette fois ce sera le veto tout de suite». D'autant plus, confie à l'AFP Kader Abderrahim, chercheur-associé à l'Institut de recherches internationales et stratégiques (Iris), spécialiste de la région, que «c'est un pays avec deux gouvernements, deux Parlements, plus de 150 milices, 60.000 hommes armés au bas mot. On se retrouverait comme des pigeons dans un champ de foire. Intervenir, ça veut dire quoi ? Avec quel objectif ?» «La solution ne pourra en aucun cas être militaire», ajoute-t-il. «Faire un blocus ? Mettre cinq mille bateaux en Méditerranée, poser des mines comme pendant la dernière guerre ? C'est absolument incontrôlable. Il faut s'attaquer à la cause du problème, pas à sa conséquence (...) Ceux qui sont déterminés à venir trouveront toujours des points d'entrée. Ça rapporte tellement d'argent que les trafiquants seront toujours très créatifs en la matière. Il est impossible de tarir cette source par la force». «Tout ce qu'on peut faire», conclut l'ex-amiral Coldefy, «c'est tenter de repêcher les gens qui tombent à l'eau. L'Europe n'aura jamais aucun moyen de les empêcher d'arriver, sauf à trouver un moyen de les convaincre de rester chez eux». |
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