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Le faste et le festif

par Ahmed Farrah

Sous certaines latitudes, la pensée des hommes n'est pas prolifique, la créativité leur est étrangère et l'innovation est inhibée. Mazette !! Pourquoi leur ciel pleut d'or mais pas de lumière ? Sous leur sol, coulent des fleuves de nectar ébène que le fossile leur a donné en cadeau, mais leur vie reste aride, plate, morne, ennuyeuse et confisquée. Leurs ombres les cernent de partout, les ravissent à l'éclat du jour et aux aurores boréales. Figés et ligotés à la nostalgie d'un temps qui s'est déjà écoulé, mais présent et réfugié dans leurs corps émotifs que la raison fuit. Accrochés au destin, ils ne sont pas maîtres de leur sort, tout se décide pour eux et contre eux. Impassibles et spectateurs, scrutent les tristes certitudes et passent à côté du réel. Obnubilés par le faste d'un jour, le reste du temps, leur quotidien est gris et maussade. Le Ramadan et l'Aïd sont prétexte à tous les excès, plus de cigales que de fourmis, la gabegie est à son apogée, le bon sens a perdu sa raison. Ils ont tout pour plaire à la vie, mais elle les ignore comme eux l'ignorent. Ils sont épris par sa rivale. Mais quand ils sont attentionnés, ils ne sont pas dans la demi-mesure. Ils savent créer des mots d'amour, des mots de tous les jours; Alger la panafricaine, Tlemcen la musulmane, Constantine l'arabe, et pourquoi pas bientôt Tiaret la rostomide et Sétifis la romaine. La lumière revient le temps d'une mi-temps, se focalise sur les scènes éphémères et les écrans escamotables. On étale le vieux et le neuf, les «œuvres» et le mauvais goût, le festin et le fastidieux ruineux, les officines importées et les officiels emmaillotés dans leurs étoffes et étouffés par leurs cravates. L'arrière-pays n'est pas convié, contemple de loin, via des canaux que seuls les «vintages» semblent être accrochés, mais sont aussi volages quand ils sont agacés par des ânonnements fluviaux de mots insensés que personne ne comprendra. La culture se veut occasionnelle et d'occasion, les jeunes talents ignorés, pourtant ils existent, ils sont là, ils sont partout dans les villes et villages, loin des yeux et des cœurs des décideurs. Ils ne demandent ni des cachets en euro ou en dollar, ni les hommages ni les honneurs, ils veulent exister chez eux, sur leur terre dans leur pays continent. Dans les grands cœurs qui rythment la vie du monde, comme Los Angeles, New York, Londres, Paris, Berlin, Milan, Amsterdam?, la culture est chez eux comme de l'eau, vitale et indispensable. A l'équinoxe d'été, ces villes et aussi toutes les autres de ce monde battant grouillent de joie et de bonheur en fêtant la musique selon les moyens de chacun, mais tous participent. Sans le parrainage des maîtres du toit des cimes, des initiatives sont prises dans les quartiers et les cités par des jeunes et moins jeunes, des garçons et des filles, ils fêtent ensemble la lumière, la vie qui est un don de Dieu, celle-ci ne se décrète pas, la culture aussi : elle ne s'octroie pas, on lui prépare seulement le terreau pour qu'elle germe et prenne de la vie.