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Le moment de vérité pour le Mexique ?

par Mohamed A. El-Erian *

MEXICO – Moins de deux ans après l’arrivée à la présidence de Enrique Peña Nieto, le Mexique est en train de mettre en œuvre un ensemble ambitieux de réformes structurelles visant à faire sortir son économie du piège de plusieurs décennies de faible croissance et à créer de nouvelles opportunités pour ses citoyens. Ces réformes impliquent la restructuration de secteurs économiques autrefois jugés politiquement intouchables, et sont soutenues par des amendements constitutionnels et un programme législatif osé.

En effet, grâce au « Pacte pour le Mexique», une large part de ce programme a non seulement le soutien du gouvernement de Peña Nieto, mais aussi des deux principaux partis d’opposition. Cet arrangement unique sera bientôt mis à l’épreuve de l’entrée en action des réformes, et le résultat pourrait avoir des conséquences importantes et durables pour les efforts visant à mettre en œuvre des réformes structurelles ailleurs dans le monde.

Ces réformes ne sont jamais faciles à entamer et sont généralement difficiles à terminer. Les politiciens les préconisent quand ils sont dans l’opposition, mais les adoptent et les maintiennent rarement une fois au gouvernement. La raison est simple : les coûts de chargement à payer d’emblée et les avantages différés dans le temps rendent les réformes structurelles politiquement périlleuses.

Les gouvernements qui se lancent malgré tout dans des réformes structurelles font souvent l’expérience frustrante de devoir attendre pour qu’une « masse critique» de secteurs revitalisés, souvent difficile à atteindre, se matérialise ; et les économistes ne parviennent que très difficilement à prévoir le calendrier et l’ampleur de l’accélération de croissance qui devrait suivre. Pour compliquer encore les choses, le caractère inévitable d’événements inattendus, que leur origine soit domestique ou externe, signifie que des corrections de trajectoire sont souvent nécessaires.

En conséquence, il n’y a que quelques bons exemples dans l’histoire – comme la Chine, la Pologne et la Corée du Sud – de réformes structurelles réussies. Et beaucoup de personnes considèrent que les pays qui réussissent sont « spéciaux» ou « uniques» – et donc n’ont que peu de valeur en tant que modèle pouvant être imités par d’autres pays.

Dans ce contexte, il est fascinant d’observer ce qui se passe au Mexique. Le « pourquoi», « comment» et le « quoi» des efforts ambitieux de réformes structurelles du pays pourraient – et devraient – avoir des effets importants de signalisation à travers le monde.

Les autorités mexicaines sont les premières à souligner la performance économique relativement faible de leur pays au cours des 33 dernières années. Le taux moyen de croissance annuelle, à 2,4%, est bien en deçà de ce qui est nécessaire et possible pour un pays qui jouit d’une énorme dotation en ressources naturelles et humaines, d’un emplacement privilégié aux portes des États-Unis et d’un potentiel de rattrapage considérable. En outre, la performance de croissance du Mexique est de loin inférieure à celle de certains autres pays qui ont commencé avec un retard important et pourtant ont fini par le devancer (ainsi que d’autres pays d’Amérique latine).

Les décideurs pourraient facilement esquiver la responsabilité de la performance médiocre du Mexique en se cachant derrière les différentes crises des marchés émergents, la « décennie perdue» de l’Amérique latine et l’impact de la crise financière mondiale de 2008 ainsi que la Grande Récession qui l’a suivie. Mais les autorités du Mexique ne sont pas à la recherche d’excuses. Au contraire, elles mettent en évidence les indicateurs nationaux montrant la faiblesse de la productivité et de la compétitivité, à la fois dans leur évolution temporelle et par rapport aux autres pays. Elles notent également que les réalisations impressionnantes du Mexique en termes de stabilisation macro-économique, bien que nécessaires, ne se sont pas avérées suffisantes pour libérer le potentiel de croissance du pays.

Oui, le Mexique a établi de solides réserves financières nationales et étrangères, mis de l’ordre dans ses finances, ouvert son économie au monde extérieur et conclu de nombreux accords de libre-échange, au premier rang desquels l’Accord de libre-échange nord-américain. Mais à présent, le temps est venu de se baser sur ces progrès pour réformer simultanément cinq secteurs grands et influents : l’éducation, l’énergie, la finance, les télécommunications et le marché du travail. Or, le gouvernement de Peña Nieto a travaillé dur – et avec succès – ces derniers mois pour adopter les amendements constitutionnels nécessaires et adopter un début de législation.

Au moins trois de ces domaines – l’éducation, l’énergie et le marché du travail – ont été longtemps réputés intouchables ou presque. En effet, je me souviens de ma propre expérience au Mexique à la fin des années 1980 et au début des années 1990, quand je faisais partie de l’équipe du Fonds monétaire international qui travaillait avec les responsables du pays pour les aider à sortir de la crise de la dette latino-américaine. Toute mention de réformes du secteur de l’énergie était alors accueillie avec une résistance immédiate, comprenant des références à la souveraineté nationale et aux protections constitutionnelles.

Aujourd’hui, le Mexique est à la recherche d’investisseurs étrangers de long terme pour soutenir les efforts de réforme ambitieux et global, avec une participation étrangère particulièrement importante en ce qui concerne les investissements dans les infrastructures de réseaux de télécommunications, les routes à péage, les gazoducs et, par la suite, le secteur pétrolier.

Tout cela est ancré par un mandat politique clair, ainsi que par l’engagement personnel déclaré par Peña Nieto à surmonter trois décennies de croissance et de productivité insuffisantes. Compte tenu de la possibilité d’un retour de bâton politique à l’intérieur du pays, des complexités inhérentes à la mise en œuvre d’un programme de réforme multidimensionnel et des obstacles cycliques implicites liés à la croissance encore lente aux États-Unis (qui représente environ 80% des exportations), le Mexique pourrait avoir besoin de deux ancres s’il entend maintenir la dynamique de réforme. Heureusement, le gouvernement a de la marge de manœuvre pour une politique anticyclique et a déjà mis en place des politiques budgétaires et monétaires accommodantes.

Le programme impressionnant de réformes structurelles du Mexique a une bonne chance de réussite. Cela permettrait de donner au reste du monde un exemple important de la façon dont ces programmes peuvent être conçus et mis en œuvre à long terme, cherchant à créer une masse critique de secteurs forts – et donc une croissance plus rapide et une plus grande prospérité – et à remplir les aspirations légitimes des citoyens.

Traduit de l’anglais par Timothée Demont

* Conseiller économique en chef à Allianz et membre de son Comité exécutif international , Président du Conseil de développement mondial du président Barack Obama. Son dernier ouvrage en date s’intitule When Markets Collide.