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Le siècle de l'inceste

par Kamel Daoud

Midi. Heure de l'exactitude et du diable. Strict et sans ombre. Selon les légendes, c'est le moment où l'homme n'a pas d'ombre et donc ressemble aux morts. Tout le pays n'a pas d'ombre. Sujet du jour ? «La faiblesse des Etats arabes, face à Israël». Vieille topique du déni et de la facilité. Quand il y a guerre sur le dos des Palestiniens, les opinions de la fameuse «rue arabe» crient contre les Israéliens, insultent les juifs, accusent l'Occident, pendent l'ONU, cherchent des sionistes dans la foule des voisins puis se tournent vers les «régimes arabes». Pourquoi ne font-ils pas la guerre ? Pourquoi ne lancent-ils pas les armées invincibles contre l'Ennemi ? Pourquoi n'usent-ils pas de l'arme de l'embargo pétrolier ? Où est Saladin ou Nasser ou l'homme invisible ? Interrogations parfois justes, souvent naïves.

Qu'est-ce qu'un régime ? Un homme assis sur le dos d'une armée qui est assise sur le dos d'un peuple qui roule sur le dos d'un baril. En gros, nous avons les régimes qui ressemblent à nos majorités non-électorales. Si le régime ne peut rien, c'est parce qu'il a un pays qui n'a pas grand chose dans l'os, le muscle et le sang. Le régime est l'auteur du pays faible et le pays faible est le père de son régime mauvais. Les deux sont, à la fois, père, fils et frères, l'une de l'autre. En gros, la «faiblesse arabe» est incestueuse. Elle est le coproduit d'une reproduction simultanée : les «régimes» négocient leur position, en fonction des peuples faibles et des tuteurs puissants. Les peuples subissent, en partie, ces régimes mais leur donnent, aussi, naissance : par faiblesse, par confort ou par démission ou par myopie et cupidité. C'est alors que le Père du régime regarde le peuple comme un poids mort qui veut faire une guerre avec la langue et libérer la Palestine avec des cris. Et le bon peuple, une partie hurlante, accuse le régime d'être lâche avec Israël et de «ne rien faire pour libérer la Palestine». Le pétrole comme arme ? Encore faudrait-il qu'il soit une arme et pas une extension du domaine de l'intestin : fermer les robinets ? C'est crever de faim quand on ne produit rien de plus que des slogans et des taux d'abstentions et des fatwas. Des armées ? Oui, encore faut-il que le pays produise ses armes au lieu d'acheter des feux d'artifices en guise de balistique. Faire la guerre ? Avec quoi ? Avoir un Etat et pas un régime courbé ? Oui, mais pour cela il faut être un peuple qui impose, se soulève et dicte le droit et la loi à l'arbitraire et se dégage du sous-développement. Il faut être une puissance, avant d'ouvrir sa bouche et accuser l'Occident, le monde, les lobbys et ses propres régimes. Il faut des pays forts et se libérer des régimes au lieu de les accuser de tout et de fantasmer «sur la Palestine libérée». Comment ? La responsabilité de chacun, dans la vie de chacun. Le premier pas est déjà de l'admettre au lieu de hurler.

Fatigante donc la chanson. Surtout au midi du monde dit «arabe» : sans ombre, avec le soleil exact sur la tête, le ventre gros, le muscle lent et les idées traînantes cinquante ans, en arrière.