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France : «La grande guerre du 14 Juillet»

par M'hammedi Bouzina Med: Bruxelles

Commémorer le centenaire de la «sale guerre» avec l'anniversaire de la République, le 14 juillet, a donné l'occasion aux ultras et extrémistes de tous bords de réveiller les haines enfouies, sous les cendres du passé colonial de la France.

Il y a comme un hiatus «historique» à commémorer le centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale, le 14 juillet, jour anniversaire de la proclamation de la République. Et inversement, célébrer le 14 juillet dans le souvenir de la Grande guerre laisse croire à une complémentarité, voire une continuité dans la construction symbolique de l'idée de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, devenue devise de la République française, née en 1789. Pourtant, il n'y a pas que le siècle qui sépare les deux événements. Plus précisément, 125 ans séparent le 14 juillet 1789, jour de la proclamation de la République, après la prise de la Bastille par les communards, du 28 juin 1914, jour de l'assassinat de l'archiduc François Ferdinand, héritier du trône de l'empire austro-hongrois et début de la Grande guerre. Entre ces deux dates ou ces deux événements, il y eut d'autres événements qui façonnèrent l'histoire moderne et dont les conséquences pèsent sur l'actualité, à ce jour. Il y eut la colonisation, lancée sous le second empire, sous le régime de la 3ème République. L'Algérie sera, en 1830, la 1ère conquête coloniale française, sous le second empire. Dès lors, il y eut les premiers Algériens «indigènes » incorporés dans les guerres qui opposeront la France à l'Allemagne et l'empire austro-hongrois ainsi que dans ses guerres hors d'Europe. Nous apprenons que lors de la guerre de Crimée (reconquise en cette année 2014 par la Russie) de 1854-55, quelque 14 officiers algériens et 250 soldats incorporés, dans les premiers régiments de tirailleurs, perdirent la vie. Un certain Mohamed Ould El hadj Kaddour, sergent de son état, fût le 1er soldat décoré de la Légion d'honneur, en 1855 (cf: wikipédia). Et puis vint la Grande guerre », la Première Guerre mondiale et les milliers d'Algériens tombés au champ d'honneur, pour l'honneur de la France. Depuis, le cimetière de Verdun veille sur leur mémoire.

Voilà une bien curieuse idée d'unir la symbolique du 14 Juillet, jour de la libération du peuple français de la servitude du féodalisme et de la monarchie absolue, à la Première Guerre mondiale, née du désaccord du partage des territoires coloniaux où seront asservis, durant plus d'un siècle, les peuples colonisés. C'est donc cet « habillage » de commémoration du centenaire de la Grande guerre, qui étendit la domination coloniale, avec les symboles du 14 juillet, anniversaire de la liberté des Français qui travestit l'histoire et brouille les mémoires. Pour autant, devrons-nous y voir une «manipulation» politique dans ce double anniversaire, de surcroît avec l'invitation au défilé du 14 juillet, à Paris, de militaires des pays ex-colonies de la France ? Le croire équivaudrait à perpétuer la guerre, celle des mémoires. En revanche, voir dans l'invitation des ex-colonisés, à ce double anniversaire, un acte de rachat des oppressions passées de la France d'hier, par la France libre d'aujourd'hui, apparaîtrait comme une bravoure, un geste qui sauve l'honneur de la « République » baptisée sur les murailles de la Bastille, un 14 juillet 1789. En face, les ex colonies devenues Etat libres, gagneraient à voir dans cette « invitation », l'occasion de montrer qu'ils ont grandi et qu'ils font la différence entre la France coloniale d'hier et celle d'aujourd'hui, éprise de liberté et de démocratie et de désir de paix. Un regard critique mais lucide sur ce passé commun, aussi douloureux soit-il, est l'unique façon de bâtir un avenir de paix entre les peuples des deux rives de la Méditerranée.

Il aurait, juste, fallu le dire, l'expliquer pour faucher l'herbe sous les pieds des « héritiers » du siècle obscur de la France et des promoteurs de la haine et de la violence, entre le peuple français et ceux des ex- colonies. Car, au fond, l'anniversaire du 14 juillet 1789 qui ne fut institué comme Fête nationale, que le 14 juillet 1888, n'est que le rappel du désir de protéger et défendre l'idéal républicain et la liberté des peuples, de la bêtise de la guerre, surtout la « sale guerre » d'il y a cent ans. Car, au fond, les pays ex-colonies qui ont défilé à Paris, sont revenus, eux aussi, pour dire non à la guerre et célébrer et partager le désir de liberté avec le peuple français.