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Le supporter est conquis, l'analyste est partagé

par Abed Charef

Une coupe du monde flamboyante a permis à l'équipe nationale de faire bonne figure. Malgré quelques zones d'ombre.

L'équipe d'Espagne, grande déception du Mondial 2014, a encaissé sept buts en trois matches. Une moyenne d'un peu plus de deux buts par match. Son gardien de but et capitaine, Iker Casillas, a été considéré comme une des plus grandes déceptions de la compétition. Raïs Mbolhi a encaissé sept buts, mais en quatre matches, soit légèrement moins de deux buts par match. Il fait figure de héros de l'équipe nationale. Choisi homme du match face à l'Allemagne, Mbolhi aura bientôt une statue à son effigie à Alger. Est-ce raisonnable quand on encaisse autant de buts ? A moins de considérer que l'équipe nationale n'avait pas de défense du tout, et que le gardien de but a fait le boulot tout seul.

Bien sûr, les statistiques ne disent pas tout. Elles ne permettent pas de saisir le climat d'un match, ni son intensité. Mais elles restent un élément essentiel pour permettre de comprendre un match ou une compétition, et de cerner les facteurs possibles ou probables d'une performance, victoire ou échec. Particulièrement en sport, où ce qui est mathématique n'est pas évident. Pourtant, on aurait tort d'occulter cet aspect, car on risque, au final, d'avoir une vue tronquée de la participation de l'équipe nationale en coupe du monde. Et si l'équipe a séduit, réussissant à obtenir l'adhésion du public par son état d'esprit, sa combativité, sa technicité, et la qualité affichée de son jeu, elle a aussi pêché par de nombreuses faiblesses sportives et extra-sportives. Saïd Selhani, qui vient de publier un livre sur les archives de l'équipe nationale (1) a noté qu'en quatre matches, l'équipe nationale a utilisé 19 des 23 joueurs sélectionnés.        C'est le plus grand nombre relevé en quatre matches, une indication qui révèle beaucoup d'incertitudes chez l'entraineur. VahidHallilodzic, qui a remporté son pari, semble de son côté avoir été confronté à des problèmes essentiellement extra-sportifs. L'opinion répandue est qu'il aurait un « sale caractère ». Une bonne partie de la presse lui a déclaré la guerre bien avant la compétition. «Sur injonction », avoue, en privé, un journaliste qui a participé à la campagne. Mais la presse qui a anticipé l'échec de Hallilodzic se trouve aujourd'hui dans l'embarras.          Elle est contrainte de reconnaitre le succès de l'entraîneur, tout en ménageant les vrais dirigeants du football.

Pourtant, un regard averti permet de mettre en doute le bilan de Hallilodzic. D'abord en raison de la qualité de l'adversaire : le groupe de l'Algérie a été probablement le plus faible de la compétition.    La Russie et la Corée étaient un cran au-dessous. La Belgique était moyenne, et l'Allemagne également. Sur ce point précis, la polémique ne s'arrêtera jamais, mais l'Allemagne de 1982 semblait un cran au-dessus de celle de 2014. La suite de la compétition montrera si l'Allemagne ira jusqu'en finale. Face à cette adversité, l'équipe nationale avait donc de la marge, notamment au premier tour. Elle avait aussi un atout essentiel : le vécu de ses joueurs. Ceux-ci évoluent, pour la plupart, dans des grands championnats européens. Ils savent ce qu'est le haut niveau. Ils peuvent tenir le choc. Ils ont la culture du jeu nécessaire pour assimiler un schéma de jeu et appliquer rigoureusement des consignes.

Les commentateurs, eux, ont relevé un changement de cap après la défaite contre la Belgique. Leur attitude a, curieusement, évolué parallèlement à celle de la presse. Soucieux de plaire, ils ont oublié des lacunes évidentes, et se sont mis à développer un discours populiste : jouer l'offensive, jouer devant, prendre des risques, etc.

Ce qui a été fatal à l'équipe nationale face à l'Allemagne: le second but allemand, celui qui a tué le match, a été encaissé en raison de cette imprudence, un classique dans ce genre de situation. Ce qui rappelle une évidence, occultée par les commentateurs, qui ont forgé l'opinion sur l'équipe nationale pendant cette coupe du monde: la manière de jouer compte, mais c'est le résultat qu'on retiendra en définitive. Et contrairement à ce qui a été écrit, une défaite est plus amère qu'héroïque.

1. Saïd Selhani, Archives du football algérien, Editions ed-Diwan, 320 pages, 2014, 2.000 dinars.