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Le dur métier d'être wali à Alger

par Kamel Daoud

Le Onetoutrisme est mort. Vive le temps. De qui parler après le Mondial ? Des siens, de son monde. Du slogan. Celui des supporters est connu. «One, two, three». Celui  du régime ? Moins connu, mais tout aussi généralisé: «Alger, pas bouger». Slogan du malheureux wali d'Alger, Zoukh Abdelkader. Pourquoi malheureux ? Pas parce qu'il a quitté Oran en catastrophe, ni parce qu'il a mauvais goût en esthétique des villes (propension pour les arcades, les ornements, les kiosques et les vastes ronds-points et les palmiers, comme le remarquent ses pairs et confrères walis), ni pour sa bonne foi pastorale qui aime la nature et les laits de chèvre. Malheureux, parce que l'homme occupe le plus mauvais poste au grade le plus haut: wali d'Alger. Statut difficile: on y est roi sans être Roi. Responsable d'un royaume dans un pays de vizirs. En gros, ce qui se passe à Alger, c'est le régime qui en est maître et auteur et décideur, mais c'est Abdelkader Zoukh qui doit signer et assumer et endosser. C'est ce qu'avait dit le DGSN El Hamel quand il s'est expliqué sur la répression du mouvement Barakat à Alger. La police aurait agi sur «réquisition de l'autorité administrative». Ce n'est pas moi, c'est lui. C'est-à-dire Zoukh. Des logements contre le «bon vote» ? Tout le monde le sait, le fait, le dit et en use, mais qui a eu le malheur d'en parler ? Le wali d'Alger. Dire tout haut ce que tous font tout bas et se voir accuser de faire ce que tous font depuis les premières élections.

Célébration de l'assassinat de Matoub Lounès interdite ? Un vieux problème. Durant la vie de Matoub, ou après sa mort. On n'en veut pas, ou peu, ou dans le malaise. On ne sait pas quoi faire de la question kabyle et de la langue amazigh. Mais on ne le dit pas. On interdit la célébration, de préférence. Chez qui ? Chez le wali d'Alger qui se retrouve à faire de la politique, dans son dos, et à traiter la crise berbère de 1949 alors que lui est né en 54.

Et ce n'est pas fini. Début de semaine, des Algériens ont voulu déposer des fleurs sur la tombe de Boudiaf. La police dit non et ferme les grilles. Cela se passe en Algérie, mais surtout chez Zoukh. Sous son autorité administrative. Du coup, lui qui n'a pas tué Boudiaf en est accusé, malgré lui, à cause de lui. Ce wali d'Alger se retrouve justement au centre d'une vieille crise jamais résolue depuis l'été 62: Alger, c'est une zone autonome ou une wilaya ? Peut-on être une autorité administrative dans un territoire politique ? Peut-on être wali à Alger quand Alger ne dépend pas de vous ? Et au-delà du maigre humour, la question de l'autonomie du fonctionnaire dans la sphère de l'influence informelle, celle d'administrateur dans un pays sans Etat et celle d'un wali à quelques mètres d'une présidence ?

 Tout cela pour revenir au slogan que semble subir et choisir Zoukh Abdelkader: «Alger, pas bouger». Mis à part le Onetoutrisme, on n'y a droit à rien. Pas de gerbes de fleurs, pas de manifestations, célébrations, commémorations, mobilisations. Le rêve d'une capitale morte, assise face à sa baie, une tisane auprès de la main, avec un amplificateur de voix pour les étrangers, peu de mouvements, pas de déplacement et aucun excès. «Alger, pas bouger». Etrange slogan d'un supporter. Car un supporter doit bouger. Pas Alger. Donc ? C'est un métier difficile. Zoukh doit supporter sans bouger. Un métier dur est sans consolation. Sauf peut-être le lait de chèvre. Bon pour la santé.