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«La dernière mission de Bouteflika»

par Ghania Oukazi

La ville des Genêts a donné hier une belle leçon de sagesse en accueillant le directeur de campagne du candidat Bouteflika avec tous les honneurs. Sellal le lui a bien rendu en prononçant un discours politique comme il ne l'a jamais fait lors de ses meetings précédents.

Abdelmalek Sellal a parlé plus que dans son habitude de di-recteur de campagne. «En 2009, vous avez reçu le président Bouteflika avec une grande ferveur, alors il vous a dit: maintenant, je peux mourir en paix, nous lui demandons aujourd'hui, de rester en vie avec la grâce de Dieu pour qu'il termine son travail», a lancé Sellal. «Tizi Ouzou a besoin de l'Algérie et l'Algérie a besoin de Tizi Ouzou, Tizi Ouzou est belle et rebelle, celui qui ne l'accepte pas, je m'en f? aâlih», continue-t-il. Il ajoute «Tizi Ouzou est l'appui et le soutien tactique et économique de l'Algérie, notamment ses universitaires, qu'ils ne s'impatientent pas, on va les aider (?)».

Après ce clin d'œil à l'élite kabyle, le directeur de campagne de Bouteflika tiendra alors des propos qui dévoilent quelque peu - sauf imprévu indépendant des hommes - l'après-17 avril. Propos qu'il faut en effet considérer comme des signes de ce que Bouteflika compterait faire ou précisément achever, à en croire son proche entourage, «au titre d'une stratégie bien claire qu'il avait en tête dès sa décision d'accepter de commander le pays».

«Si vous le soutenez, il a une dernière mission, Bouteflika se promet de projeter le pays au sommet, nous allons démarrer un nouveau programme dans la région, particulièrement dans le secteur du tourisme qu'on a négligé, on a besoin que les enfants d'In Guezzam viennent à Azzefoune et les enfants d'Azzefoune aillent à In Guezzam, on doit nous réconcilier avec nous-mêmes et bannir la culture de la haine», note-il. Il estime que «grâce à sa politique de réconciliation nationale, Bouteflika a redonné sa bonne réputation à l'Algérie vis-à-vis de l'étranger». Il fera part du «rêve de Bouteflika d'un Etat moderne, fort, digne de ses enfants (?)». Il rassure que «nous sommes un grand pays, un grand peuple». Sellal évoquera encore «le renouveau politique» mais cette fois avec plus de précisions et de détails importants. C'est ce qui constitue, disent les proches du président-candidat, «le chapitre qui reste de la stratégie que Bouteflika compte mettre en œuvre avant de céder le pouvoir». Son directeur de campagne a ainsi affirmé hier à partir de Tizi Ouzou qu'«il y aura révision de toutes les lois du pays pour garantir tous les droits individuels et collectifs aux Algériens, aux jeunes, aux universitaires, aux intellectuels, des lois qui clarifieront les missions de l'ensemble des institutions qui devront jouer leur rôle chacune comme il se doit». Il est clair que Sellal fait allusion en premier, à la révision de la Constitution «où la séparation des pouvoirs sera consacrée d'une manière plus précise», disent ses proches. Il apportera davantage d'éclairage à ce que Bouteflika pense faire ou plutôt terminer de faire «s'il est réélu». Selon son directeur de campagne, le président-candidat compte se consacrer à mettre en place les véritables fondements «d'un Etat de droit».

«Bouteflika aura construit un Etat fort entre 2014-2015»

A entendre Sellal parler et tenter de bien saisir le sens de ses propos, Bouteflika pense se donner une année «peut-être deux ans» du 4e mandat pour terminer la mission qu'il s'est fixée», nous dit-on. «Entre 2014 et 2015, il aura construit un Etat fort, moderne, garant des droits de l'homme, des femmes, des jeunes, des libertés à tous les Algériens, le tout sera consacré dans les lois et personne ne pourra priver (yahgar) personne de son droit», affirme son directeur de campagne. Sellal anticipe et lâche «et il remettra le flambeau à la génération de l'indépendance». Il fait savoir alors que la mise en place d'une telle stratégie «nécessite un grand consensus et un soutien fort». Il inclura la question de tamazight dans ce «travail». Il rappelle qu'«avant, tamazight était un ogre qui faisait peur si on tentait de s'y approcher, aujourd'hui, Bouteflika l'a consacré langue nationale». Sellal veut convaincre: «Je suis Kabyle, Chaoui, Targui, ana Imohar, comme disent les hommes du Hoggar (nous sommes un seul homme)». Il dira encore «il reste des insuffisances à combler, l'académie doit bouger pour développer tamazight, pour qu'il participe dans le développement ici et à l'étranger», fait-il savoir. Il explique «progressivement, tamazight aura sa véritable place parmi les constantes nationales». Il ne fera pas la promesse de consacrer tamazight langue officielle.

Mais il continue d'en parler pour expliquer: «On est contre l'exclusion, celui qui me frappe, je l'embrasse, nous avons besoin de sagesse et Bouteflika est sage, on doit avancer doucement parce que nous avons une société complexe et compliquée». Il fera encore part du «rêve du moudjahid Bouteflika» et soulignera que «ne lui reste pour être rassuré (yathena), que de voir l'Algérie un pays fort et moderne, lorsqu'il m'a chargé en tant que 1er ministre de le représenter à l'étranger, j'ai vu dans les yeux des grands de ce monde qu'ils lui vouent un grand respect, il est une référence internationale sur laquelle on s'appuie, il veut une république démocratique, égalitaire et pour qu'elle soit forte, on a besoin d'un front interne solide». Sellal estime que «si on a été épargnés, c'est parce qu'on a assuré la stabilité du pays, on est solidaires, unis». Il affirme que «la stabilité est un acte de souveraineté nationale, on a besoin de la renforcer; pour cela, on a besoin de fraternité entre nous». Il soutient que «je crois en ce pays, ce monsieur (Bouteflika ndlr) me l'a appris». Et pour clarifier davantage ce que veut le président-candidat en briguant un 4e mandat, Sellal fera savoir que «Bouteflika a mis dans sa tête, qu'avant qu'il ne quitte cette vie, il doit faire de l'Algérie un pays fort».

«Bouteflika a un rêve» selon Sellal

Révision de «toutes les lois», «définition claire et précise des rôles et missions de l'ensemble des institutions», «renforcement de la réconciliation nationale par la fraternité et la culture du pardon entre tous les Algériens», «consécration de tous les droits, de l'homme, des femmes, des jeunes, appel à l'élite pour la construction d'un Etat moderne», c'est ce qui ressort du discours de Sellal lors de sa halte kabyle. Il semble qu'il s'est fait un point d'honneur pour préciser que Bouteflika ne compte pas garder le pouvoir. Il a parlé de son rêve «avant qu'il ne quitte cette vie» et d'un travail qu'il compte mettre en œuvre «entre 2014 et 2015». L'on a déjà écrit dans ces mêmes colonnes que les proches du président affirment que «Bouteflika veut rempiler pour un ou deux ans, juste pour qu'il signe deux ou trois décrets importants par lesquels il mettra fin au régime politique en place». Hier, l'un d'entre eux nous disait que «pour ceux qui ne veulent pas le reconnaître, Bouteflika a déjà fermé les chapelles et les cabinets noirs, il a mis fin au règne des généraux, l'armée ne nomme plus les rois, les services de renseignements ont été réformés, d'où l'insistance de Sellal sur la définition des missions et des rôles des institutions, c'est-à-dire une séparation effective des pouvoirs». Ses proches reconnaissent qu'«il a certes centralisé les pouvoirs à son niveau». Mais, disent-ils, «il le veut temporairement, le temps de mettre de l'ordre et de mettre en place les fondements de la 2e République». L'on pourrait penser que l'Algérie aura, dès 2015, impérieusement besoin de ceux qui «construiront la 2e République»

Les Algériens espèrent, nous disent des observateurs, que «ce n'est pas une simple vue de l'esprit ou des élucubrations d'analystes en mal de reconnaissance». L'on souligne que «Bouteflika a l'âme soufie, depuis qu'il est tombé malade, il a complètement intégré l'idée de la mort à n'importe quel moment, il souhaite qu'il vive encore un ou deux ans pour terminer son travail, une stratégie qu'il a tracée pour permettre un changement du pouvoir politique».