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L'anecdote Qui Cache La Forêt

par K. Selim

La polémique sur la traduction des propos de John Kerry à Alger est un peu l'anecdote qui cache la forêt. D'aucuns soulignent avec humour que la «mauvaise traduction» de l'interprète américain exprime parfaitement le fond de la pensée de l'administration américaine. Un «acte manqué réussi», estime un analyste. En réalité, ce serait faire preuve d'angélisme que d'attendre des Américains une défense de la démocratie en Algérie. Ni ailleurs.

Cette défense de la démocratie est à géométrie variable, elle n'est jamais séparable de la défense des intérêts des Etats-Unis. Les libertés, la démocratie seront ainsi abondamment évoquées, par exemple pour l'Iran et très fugacement pour l'Arabie Saoudite. Et personne n'ignore que la marge de liberté est beaucoup plus importante en Iran qu'en Arabie Saoudite qui, hormis quelques rapports critiques réguliers sur les libertés religieuses, reste très bien vue par toutes les administrations américaines. On peut multiplier les exemples sur cette défense à géométrie variable des libertés par les Etats-Unis et les Occidentaux? Non pas pour s'indigner de cet état de fait mais juste pour souligner que le monde est ainsi fait. La démocratie n'est pas un souci primordial des grandes puissances dans leurs rapports avec les autres Etats, mais son absence peut servir de moyen de pression. Et c'est là le véritable enseignement à tirer de cette défense hypocrite de la démocratie par les grandes puissances.

Moins un Etat est démocratique et plus il est fragile et plus sa capacité de négocier au mieux sa place dans l'ordre du monde est fragilisée. Cela est devenu pratiquement une «loi» dans l'évolution des relations internationales. Elle s'impose impérieusement aux autres Etats. Dans ce jeu d'instrumentalisation de la démocratie, seuls des pays comme la Russie et la Chine ont des moyens de faire face. Pour les Etats, petits ou moyens, c'est la forte adhésion de la population - et cela ne peut se faire que par la démocratie - qui permet de résister aux pressions extérieures. Un Etat sans institutions démocratiques viables, sans représentation populaire authentique est fragile. Et à défaut d'une légitimité incontestée à l'intérieur, les pouvoirs seront enclins à la chercher à l'extérieur, chez les puissances qui donnent - ou refusent - suivant leur propre intérêt un «quitus démocratique».

Feu Abdelhamid Mehri soulignait dans une de ses nombreuses contributions que les «réalités du monde nous enseignent que nous aurons toujours affaire à ces puissances » mais que «seuls des gouvernements démocratiques, soutenus par leurs peuples peuvent faire comprendre à ces puissances que leurs intérêts, chez nous, sont à négocier et non pas à défendre». La venue de Kerry dans un contexte électoral a créé un malaise évident et la polémique sur la traduction des propos du secrétaire d'Etat l'illustre parfaitement. Les autorités algériennes avaient probablement les moyens de convaincre John Kerry de venir à une date moins sujette à polémique. Elles ne l'ont pas fait ouvrant ainsi le champ à des accusations de rechercher des «cautions» externes qui, dans le monde réel, ne sont jamais gratuites. Si tel n'est pas le cas, les autorités algériennes ont raté une opportunité de lever les soupçons en négociant une autre date pour la venue de Kerry. Car elles ne pouvaient ignorer que la visite de Kerry dans le contexte actuel sera décryptée à l'aune des enjeux de pouvoir. Et des soupçons qui vont avec.