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Violences, insultes et haines: le régime récolte ce qu'il a semé

par Kamel Daoud

C'est le comble : après le Président-Candidat absent, assis, muet et ailleurs, c'est le temps des meetings animés à la sauvette, sous protection rapprochée et avec des yaourts et des réponses et des incendies en réponse. Ce pays aura donc atteint son comble meurtrier. A Béjaïa, la violence a été spectaculaire, effet boomerang pour un régime qui en usa par le bras, le sens et la parole depuis une décennie et plus. Où va ce pays ? C'est la question de réveil pour chacun. Elle fait peur, hante et vous pousse à regarder vos enfants avec angoisse et inquiétude. Où les emmener ? Où les mener ? Comment les sauver dans un pays que certains semblent vouloir incendier s'ils ne sont pas élus ? Que leur raconter, des années plus tard, quand il faudra leur raconter cet immense sacrilège ?

Car cela fait peur maintenant, après la colère et l'indignation. Il semble que l'équation est simple : c'est moi ou le déluge. Moi ou je brise ce pays. A Tlemcen, des archs ont fait allégeance à Bouteflika dans la pure tradition des tribus. Fantasme exaucé d'un Hassan III (Trois) qui en rêvait depuis toujours. Preuve que ce pays bascule doucement vers sa rwandisation régionaliste. On parle aujourd'hui peu d'Algériens, mais de Chaoui, de Tlemcénien, de Mozabite, d'arabe, de Kabyle. Pour ceux qui se ferment encore les yeux et les oreilles, il faut crier que ce pays est en voie de destruction. On y a détruit le sens de l'effort, l'envie de rester, le sens de la justice et de l'équité et aujourd'hui, on s'attaque, après ses institutions, au premier capital après mille ans de servitude : l'unité nationale. On sauvera donc une présidence moribonde, un clan et une famille et quelques hommes d'affaires, même au prix de la fin du monde pour notre monde. Et juste après l'inquiétude pour ses enfants, on s'interroge : comment peut-on être aussi mégalomane, aussi égoïste pour faire passer une biographie avant une nation ? Ceux qui aujourd'hui font campagne avec une vieille photo (que l'on acceptera ni pour un dossier de permis ni pour celui d'un passeport ou une carte d'identité) n'ont-ils aucune limite ?

Puis retour au sujet du jour : les graves incidents de Béjaïa. Faut-il les condamner ? Oui, avec vigueur, mais pas avec les airs faussement effarouchés des hommes de Bouteflika. Cette violence n'est que la récolte de trois mandats de gestion, de matraque, de gaz lacrymogènes et d'arrestations abusives et de déni des droits. On a accepté et toléré et encouragé la violence, dans les stades, comme expression politique (plus monnayable et corruptible que les sigles des partis), on l'a légalisée par le choix de dialoguer avec l'émeutier et pas avec le militant, on l'a illustrée avec la répression policière contre ceux qui disent «non» ou les descentes punitives contre les chaînes TV et, aujourd'hui, on joue à s'étonner de la voir à Béjaïa. Bigoterie risible et hypocrisie. Quand on détruit le politique, il ne faut pas venir crier au «droit démocratique de Bouteflika d'être candidat». La démocratie est un tout : elle est valable pour le peuple et pour le candidat. Pour l'élu et le manifestant. Puis, on regarde encore ses enfants et on comprend, brusquement, quelque chose d'obscur : tout est là, sous les yeux. L'explication est un coup au cœur et elle éclaire mieux que dix mille analyses : certains ont des enfants. D'autres pas. D'où cette différence entre : «après moi, mes enfants» et «après moi, c'est le déluge».