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Lyrique en direction des jeunes, dépassionné sur la France : Le «tous aux urnes» du Président

par Salem Ferdi

Le président Abdelaziz Bouteflika a saisi l'opportunité de la commémoration du 8 Mai 1945 pour lancer un ultime appel, de Sétif, à une participation en masse aux élections législatives demain. Un véritable forcing dans lequel il a interpellé, sur un mode lyrique et anaphorique, le patriotisme des Algériens. Et surtout des jeunes. A l'opposé, c'est un message dépassionné qui est adressé à la France avec un appel à une «lecture objective» de l'Histoire.

Face au manque d'engouement, largement constaté, des Algériens, Bouteflika a redit, en d'autres mots, l'importance vitale qu'il accorde à ces élections. Tout y est: l'emphase, la répétition, l'insistance, les appels à ne pas dilapider les grands sacrifices des chouhada? du 8 Mai 1945. «Tout comme est sorti le peuple algérien en ce même jour, il y a de cela 67 ans, uni, mobilisé, clamant haut et fort sa position, et défendant avec courage et dignité sa cause nationale, je vous appelle tous à sortir en masse le jour du scrutin pour amorcer une nouvelle étape du processus de développement, de réformes et d'évolution démocratique dans votre pays, l'Algérie». Tout est fait pour convaincre des Algériens fortement blasés de l'importance cruciale d'élections qualifiées «d'exceptionnelles» par les «garanties mises en place» et qui seront «propres et transparentes à la hauteur des attentes de notre peuple». Le message cible en particulier les jeunes qui doivent se rappeler que la «liberté et la souveraineté nationale ont été recouvrées au prix d'énormes sacrifices» et qu'un tribut «tout aussi lourd a été versé pour préserver l'unité du pays et le régime républicain et consacrer la sécurité, la paix et la réconciliation».

LES GENERATIONS MONTANTES DOIVENT COMPRENDRE?

Les «générations montantes» doivent comprendre que «la liberté, la stabilité, le progrès et la démocratie dont jouit le pays sont le fruit d'énormes sacrifices (?) et qu'ils doivent préserver «ces acquis considérables». L'étape est qualifiée de «sensible», «ouverte aux implications d'une mondialisation envahissante» qui impose une «adaptation» rapide, une maîtrise des sciences et des technologies? Le président Bouteflika n'en démord pas en termes de bilan. L'Algérie, après avoir mené une grande guerre de Libération, a adopté une «démocratie authentique» qui est renforcée par «un ambitieux programme de réalisations socioéconomiques et des réformes politiques d'envergure visant essentiellement à consolider les fondements d'un Etat de droit dans une société soudée où les libertés individuelles et collectives et les droits de l'Homme vont en s'enracinant». Un bilan positif qui, bien entendu, n'est pas forcément partagé par les opposants et même par des hommes comptés sur le régime. D'où, d'ailleurs, ce forcing pour la participation aux élections qui, dit-il, ont une «importance majeure» du fait de la «délicate conjoncture» et des «effets considérables qui en découleront».

UNE EPREUVE DE LA CREDIBILITE DU PAYS

L'échéance devient de ce fait une «épreuve de la crédibilité du pays. Une étape assurément décisive dans le parachèvement du programme de réformes et de modernisation». Les jeunes Algériens, «dépositaires du legs des chouhada et fidèles à leur serment», sont appelés à la mobilisation au nom des chouhada d'hier et, dans un marqueur politique plus récent, au nom des «martyrs du devoir national, toutes catégories confondues, à leur tête les éléments de l'Armée nationale populaire et de tous les corps de sécurité qui ont fait face à la machine de la mort et du terrorisme abject pour que la République demeure debout, unifiée et réconciliée, digne, fière et rayonnante». Le président n'hésite pas à recourir au lyrisme et à l'anaphore pour s'adresser aux jeunes: «Vous qui êtes capables de relever le défi comme vous l'avez fait à tous les tournants décisifs que la nation a eu à affronter; vous qui avez retenu les leçons et les enseignements; vous qui avez l'esprit accablé par les affres du colonialisme et de la fitna, qui êtes conscients des dangers complexes qui guettent le pays dans un espace géographique en proie aux bouleversements; vous qui êtes soucieux de la stabilité et de la sauvegarde du pays et désireux de poursuivre la réforme et d'opérer le changement avec conviction et responsabilité, par des moyens réfléchis à travers lesquels vous montrerez au monde le visage reluisant de Algérie d'aujourd'hui et celle de demain». Ces «enfants d'Algérie, femmes et hommes» sont appelés à être à la «hauteur des défis» et à «répondre à l'appel de la nation» et à élire une «Assemblée populaire nationale pluraliste forte d'une composante irréprochable?». Dans ce discours où il vise à persuader les Algériens du caractère crucial des élections, le président a mis en exergue également les risques en se déclarant convaincu que les jeunes Algériens, «ouverts au monde de la connaissance moderne et des technologies de la communication et conscients des défis et dangers de la mondialisation, sauront se dresser contre les ennemis du pays et faire face aux instigateurs de la fitna et de la division ou aux velléités d'ingérence étrangère». Aucune indication sur les fauteurs de fitna mais il est clair, à la lecture du discours, qu'il vise les «boycotteurs», un spectre large qui va du FIS au RCD, implicitement associés au risque d'ingérence étrangère.

UN MESSAGE APAISANT EN DIRECTION DE LA FRANCE

La commémoration du 8 Mai 1945 a servi au chef de l'Etat de tremplin à une poursuite de la campagne en faveur du vote. Il y a dans cet appel pressant au vote une tonalité de dramatisation accentuée par la mise en avant d'un risque et d'une menace diffuse d'une ingérence étrangère et des effets d'une «mondialisation envahissante». Du coup, la traditionnelle évocation de la relation avec l'ancien occupant s'est faite de manière succincte et dépassionnée. L'Etat algérien indépendant, a-t-il rappelé, «s'est attelé depuis 50 ans, avec un esprit magnanime et une vision prospective, à construire des relations d'amitié et de coopération fructueuse avec les différents pays du monde, à leur tête l'Etat français». Le discours -message au nouveau président français- n'évoque pas les termes délicats de repentance mais se concentre sur l'impératif de construire des «relations fondées sur les intérêts communs» et sur l'impératif de faire de la Méditerranée «un espace de paix et de bien commun entre les peuples de la région, et de son aspiration à un ordre international plus équitable, plus solidaire et plus tolérant». Le souci de dépassionner est également présent dans un appel à une «lecture objective de l'histoire, loin des guerres de mémoire et des enjeux conjoncturels» pour aider les «deux parties à transcender les séquelles du passé douloureux pour aller vers un avenir où règnent confiance, compréhension, respect mutuel et partenariat bénéfique».