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DU BON USAGE DU PATRIOTISME

par M. Saadoune

Le rituel du 8 Mai a été marqué cette année par le déplacement en personne du président de la République à Sétif, où il s'est livré à un plaidoyer passionné pour une participation «massive» aux élections législatives du 10 mai. Une fois n'est pas coutume, la relation avec l'ancienne puissance coloniale et les questions mémorielles n'ont pas occupé une grande place. C'est même un discours d'apaisement qui prévaut, comme s'il s'agissait de prendre acte de l'arrivée au pouvoir en France d'un président moins expansif mais probablement plus disposé à avancer.

Mais la mémoire des sacrifices, des martyrs, des souffrances, le combat des Algériens pour l'indépendance, tout cela a été mis en exergue pour convaincre les Algériens, et singulièrement les jeunes, que le destin de leur pays se joue vraiment ce 10 mai. Il y a dans le style du discours un effet de dramatisation sur l'impératif de préserver le «legs» des martyrs. Un effet amplifié par la mise en avant d'un risque d'ingérence étrangère et de fitna. Dans un contexte électoral des plus moroses, le Président a pris un risque de voir son appel passionné du 8 mai jugé à l'aune de la participation au scrutin.

Mais au-delà de cet aspect, après tout sans incidence sur l'avenir politique du Président, la question se pose effectivement sur la manière de convaincre les Algériens, largement persuadés que les institutions sont des simulacres et par conséquent inutiles, de s'intéresser aux élections. Le discours patriotique, l'invocation de la menace extérieure, l'impératif de préserver l'indépendance, même s'ils se font sur un mode lyrique, ne sont pas une nouveauté en Algérie. C'est ce que les Algériens entendent depuis toujours. Ils ont tellement entendu, en replay, l'idée d'une «échéance cruciale» et «décisive», l'affirmation que le pays est «devant un tournant», dans une «phase délicate», faisant face à des «risques graves», qu'il y a un moment où l'effet saturation fonctionne. Même chez les plus disposés.

Imposer une fausse vie politique avec un Parlement de pure forme - sans autre pouvoir que la possibilité qui lui a été concédée de rejeter, une fois par an, une augmentation du prix du gasoil ? a nécessairement des conséquences. Les taux de participation faibles dans les élections en étaient des indicateurs probants. Même l'histoire du riche combat mené par des Algériens aux idées diverses et parfois divergentes, mais fondamentalement convergentes vers l'idée de libération et de liberté, a été rendue «plane» pour les besoins immédiats d'un système de pouvoir. Cela également a des conséquences.

 L'idée que l'Algérie vit des moments «cruciaux», «particuliers», «décisifs», qu'il y a une «menace» en l'air, que les «feux de la fitna» pourraient se rallumer, pourrait bien être vraie. Mais à force d'avoir été invoqués, ces appels au patriotisme ont fini par sonner creux. Il n'y a pas de secret. Le 8 Mai 45, les luttes du mouvement national, la guerre de libération ont été animés par une aspiration à l'indépendance et à la liberté qui ne peut être sérieuse sans les libertés. Si de nombreux Algériens sont encore attachés à cette histoire riche de combats, cela n'est pas le fait du système en place. Les jeunes Algériens, contrairement à ce que disent parfois les responsables, n'ont pas perdu le sens patriotique. Ils aiment leur pays, ils l'aiment tellement qu'ils enragent de le voir placé dans des impasses alors qu'il a des atouts pour décoller. Les jeunes Algériens aiment leur pays, mais les épreuves traversées font qu'ils ont cessé d'avoir un nationalisme naïf. Il y a un grave problème de système politique en Algérie, il n'y a pas un déficit de patriotisme.

Si les Algériens sont réservés à l'égard des élections, le problème n'est pas en eux, mais dans le système. Et c'est aux tenants du système d'apporter la preuve qu'ils sont prêts à sortir d'une vision purement instrumentale de l'histoire. Et de se convaincre enfin que le patriotisme et la sécurité en ce temps de «mondialisation envahissante», c'est la démocratie, les libertés et l'Etat de droit.