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8 Mai 45 : Des orphelins de Sétif pour une reconnaissance symbolique

par Salah C.

Un nom d'une rue ou d'un édifice public en signe de reconnaissance à une femme qui a risqué sa vie pour sauver 45 orphelins de la région de Sétif, au lendemain des massacres perpétrés par l'armée coloniale, n'est pas trop demandé. C'est ce que souhaitent, 67 ans après, plusieurs de ces rescapés qui affirment aujourd'hui qu'ils ne doivent la vie qu'à cette femme qui a bravé le danger. Parmi eux, Amar Sebia, originaire de Beni Aziz, dans la wilaya de Sétif et qui se remémore encore cette tragédie tout en repensant à celle qui les a soustrait aux forces sanguinaires coloniales. M. Sebia a tenu à revenir sur le parcours de Kheira Bent Bendaoud, de son vrai nom Belgaïd Kheira, née à Oran en 1911. M. Sebia rappelle qu'en tant que militante du Parti du peuple algérien (PPA), elle se trouvait au moment des faits dans le Constantinois. Alertée par la présence d'enfants livrés à eux-mêmes et sans défense, elle avait décidé de les transférer sur Oran et les placer dans des familles aisées. Sur place, elle avait rassemblé 45 orphelins, tous en bas-âge et avec l'appui de la medersa d'Oran, elle a décidé de les ramener sur Oran. Sous l'impulsion de cette Medersa, située à la rue Emile Delors (Belamri Lahouari) à la ville nouvelle, le comité dirigé par Cheikh Saïd Zemouchi, avait pris toutes les dispositions pour un accueil chaleureux du train qui transportait les 45 orphelins, en provenance de Sétif. Arrivés à la Medersa où devait s'effectuer la prise en charge des enfants, les familles d'accueil étaient dans l'attente.

67 ans après, certains de ces orphelins encore en vie tiennent à rendre un vibrant hommage à cette femme exemplaire en revendiquant une reconnaissance, ne serait-ce que symbolique, de la part des responsables locaux, pour faire sortir la défunte de l'oubli, à travers le nom d'une rue ou d'un édifice public, au même titre que tous ceux et celles qui ont combattu pour l'indépendance nationale. L'un des survivants, Amar Sebia, nous retrace le parcours de cette femme tout en ayant une pensée à ses petits compagnons, dont plusieurs sont tombés au Champ d'honneur.

M. Sebia dira que « cet acte de bravoure confortera ses convictions en ralliant, dans un premier temps, l'association des Oulémas, avant de s'engager corps et âme, pendant la guerre de Libération ». Durant son parcours, elle connaîtra d'authentiques patriotes, les défunts Kahloul, Cherfaoui, Hadj Ahmed Metahri et l'une des figures emblématiques d'Oran, Ould Kadi Setti, la fille de Kaïda Halima. De leur vivant, ces derniers ont toujours témoigné de la générosité de Kheira et son sens aigu du sacrifice pour les autres, notamment les démunis. Cette notoriété ne laissera pas l'administration coloniale indifférente et la mettra dans son collimateur. Accusée d'actes subversifs, elle sera incarcérée, avant de la faire exiler vers la capitale en l'installant en résidence surveillée. En dépit de ces restrictions, cette femme sera en contacts secrets avec certains de ses compagnons, parmi lesquels un orphelin qu'elle fit venir de Sétif, Mohamed Achouri, qui ne l'a jamais abandonné en lui rendant visite chaque jour pour l'informer de tout ce qui se passe à Oran. Le fait d'être éloignée de sa ville natale était insupportable et cela s'est répercuté sur son état de santé en continuelle dégradation, au point où ses amis d'Oran ont pris attache avec un haut officier de l'armée française pour lui demander de la transférer à Oran, ne serait-ce que pour des considérations humanitaires. Cette doléance a été acceptée à condition que la résidence surveillée soit toujours maintenue. Après plusieurs années, elle est libérée et ayant rejoint son domicile sis au quartier de Saint Antoine, elle mourra seule dans sa demeure en 1961 et ne fut découverte que deux jours après son décès. Kheira Bent Bendaoud a été enterrée au petit cimetière de Sidi El-Hasni. Elle avait juste 50 ans.