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Un islamiste à la tête du gouvernement marocain: Benkirane en fou et en fusible du roi ?

par Salem Ferdi

Le Maroc a un nouveau Premier ministre, le chef du Parti Justice et Développement (PJD, islamiste), Abdelilah Benkirane, désigné hier par le Roi Mohammed VI.

C'est la première participation du PJD dans un gouvernement qu'il aura donc à diriger du fait qu'il a obtenu 107 sièges sur 395 lors des législatives anticipées du 25 novembre. La Constitution révisée au début de l'année stipule que le Roi choisit le Premier ministre au sein du parti qui a emporté le plus de sièges.

M. Benkirane, reçu hier mardi par le roi à Midelt, dans le centre du pays, a prêté serment. Il va devoir former un gouvernement de coalition sous le contrôle du Roi. Le parti du Rassemblement national des indépendants (RNI, 52 sièges) du ministre de l'Economie et des Finances, Salaheddine Mezouar, ayant déjà annoncé qu'il s'installerait dans l'opposition, c'est avec la Qoutla, constituée par l'Istiqlal (60 sièges) et l'Union socialiste des forces populaires (39 sièges), et le PPS (communiste, 18 sièges) que le PJD devra négocier. Les tractations seront serrées pour l'octroi des postes. Même en arrivant en tête, le PJD n'a pas les moyens politiques de se passer des autres partis.

UNE «ALTERNANCE» SANS RISQUE

Pour le Palais qui va surveiller de près le partage des portefeuilles, la désignation du chef du PDJ, qui assumait le rôle de l'opposition institutionnelle, clôture un processus engagé par le Roi en vue de court-circuiter la contestation politique qui s'est manifestée à la suite de la révolte tunisienne. Après une révision de la Constitution, où, malgré quelques changements formels, la réalité du pouvoir reste inchangée, les élections législatives permettent de donner, sans grand risque, l'image d'une «alternance» possible qui va jusqu'à remettre les clés du gouvernement à un islamiste. Mais Benkirane, qui a débuté aux jeunesses socialistes de l'USFP avant de se tourner vers l'islamisme, n'a rien d'un révolutionnaire. Même si la presse lui a reproché certaines de ses sorties moralisantes sur l'homosexualité, voire son rejet d'une laïcité à la française.

Toute sa démarche, depuis qu'il a pris la direction du PJD en 2008, a consisté à donner des gages de «modération» au système du Makhzen. A telle enseigne que d'anciens camarades islamistes ne voient qu'un «agent du Makhzen» de plus. Il est en tout cas clair qu'une fois aux affaires, les velléités moralisatrices de Benkirane et du PJD seront rapidement mises à l'épreuve dans un pays où le tourisme, y compris avec ses très mauvais travers, représente 450.000 emplois directs au Maroc et 10% du PIB. Le PJD a déjà annoncé la couleur en indiquant qu'il n'essaierait pas d'imposer un code moral strict.

En réalité, du point de vue du contexte économique et social difficile qui risque de s'aggraver en raison de la grande dépendance à l'égard d'un marché européen en crise, le Roi se dote d'un bon fusible. En effet, Benkirane, en raison de son arrivée de «l'opposition», peut faire illusion. Il est réputé moins proche du Palais que les autres partis traditionnels comme l'Istiqlal et même l'Usfp. Du coup, il aura à gérer de grosses difficultés sociales. Et il sera aussi mis à l'épreuve au sujet d'une contestation politique qui persiste malgré les efforts du Makhzen pour la marginaliser.

SOUS OBSERVATION

Les militants du Mouvement du 20 Février, qui ont boycotté les élections, ont manifesté dimanche et ont montré que l'arrivée du PJD à la tête du gouvernement n'allait pas émousser leur combat pour une monarchie parlementaire.

A ces premières manifestations organisées après les élections, il s'est dit prêt au dialogue, tout en invitant le mouvement à prendre acte du résultat des urnes. «Le Mouvement du 20 Février est un mouvement social, on doit l'écouter, a-t-il ajouté, mais il doit tenir compte du fait que ces élections ont été transparentes», a-t-il déclaré. Le Mouvement du 20 février a été jusque-là très réprimé. L'attitude du PJD à leur égard constituera aussi un test pour lequel est attendu Benkirane aussi bien par le Palais que par les contestataires.