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La naïveté des activistes en échec face à la ruse des généraux

par Kharroubi Habib

Au Caire, la place Tahrir se vide peu à peu. N'y demeure qu'un carré d'activistes dont les revendications semblent être dépassées au vu de l'évolution de la situation dans le pays. Confortée par la participation massive des électeurs au scrutin des élections législatives, l'armée se gardera de faire évacuer par la force ce dernier carré, qui continue à exiger son retrait immédiat du pouvoir et à contester la tenue des élections en cours. Les généraux l'ont finalement emporté sur cette place Tahrir d'où est partie la révolte qui a emporté Hosni Moubarak et son clan.

Il sera longtemps débattu de savoir quand et pourquoi les tombeurs de Moubarak ont perdu leur bras de fer avec le Conseil suprême des forces armées, que le président déchu à investi du pouvoir avant de se retirer. A notre point de vue, c'est à ce moment crucial que les manifestants de la place Tahrir ont raté le coach. Par naïveté, ils n'ont pas perçu qu'en opérant ce transfert de pouvoir, Moubarak a en fait enclenché le processus institutionnel dont l'aboutissement ne pouvait être que le dévoiement du mouvement qui l'a contraint au départ.

Leur naïveté a été de croire que parce que l'armée a refusé de participer à leur répression, puis a accepté de leur sacrifier Moubarak et ses proches, elle partageait l'idée du changement radical pour lequel ils ont occupé la place Tahrir. Un changement auquel pourtant les généraux ont été foncièrement hostiles, car remettant en cause un système dont leur institution est l'épine dorsale. Conséquents, ils ont d'emblée opposé un niet aux revendications dans ce sens des activistes de la place Tahrir en jouant sur la peur de «l'Egypte profonde» face au risque du vide institutionnel auquel leur satisfaction exposait le pays, avec ce qu'il comporte de confusion et de menaces de dérives et de paralysie.

Tout en se proclamant garants de l'ordre et de la sécurité dans le pays, les militaires ont laissé les activistes poursuivre l'occupation de la place Tahrir et à continuer à exiger leur retrait du pouvoir. Mais en sous-main, ils ont manœuvré pour les isoler et les mettre en porte-à-faux avec la population et les forces politiques traditionnelles bénéficiant de quelque audience au sein de celle-ci. Et cela en faisant prévaloir que l'armée rendra le pouvoir aux civils au terme de la période de transition que clôtureront les élections législatives et présidentielle. L'intelligence tactique du CSFA a été de faire apparaître les activistes de la place Tahrir comme opposés à un processus de dévolution du pouvoir dans le pays passant par la voie démocratique des urnes. La manœuvre est en train de réussir, comme le montre la grande affluence des électeurs dans les bureaux de vote.

En jouant le pourrissement, les généraux ont tablé sur la lassitude et les inquiétudes qui se sont emparées des Egyptiens quant à la poursuite d'un bras de fer dont il résulte la confusion politique et le marasme économique et social. Elle réussit pleinement, puisque après ces élections qu'elle a pu tenir malgré la place Tahrir, l'armée n'aura en rien abdiqué le rôle moteur et central qu'elle joue dans le système de pouvoir égyptien. Et leur déroulement pacifique va contribuer à revaloriser son image à l'international, qui commençait à se ternir au soupçon qu'elle est réfractaire aux fondamentaux de la démocratie, qui sont la liberté d'expression (qu'elle a laissé se manifester place Tahrir) et celle de la volonté populaire par la voie des urnes dans la transparence et la régularité.

Pour les militaires toutefois, leur victoire sera «à la Pyrrhus», car s'ils sont parvenus à étouffer momentanément la voix de leurs adversaires radicaux, ils ne pourront longtemps encore empêcher la remise sur le tapis du rôle de leur institution dans le système politique égyptien. La naïveté des activistes leur a procuré un délai de répit. Cela ne durera pas.