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François Hollande au Le Quotidien d'Oran: «Certaines initiatives de la droite française jettent de l'huile sur le feu»

par Salem Ferdi

François Hollande, ancien premier secrétaire du Parti socialiste français, est désormais l'un des candidats potentiels de son parti à la présidentielle face à Nicolas Sarkozy, dont la candidature ne fait pas de doute.

Que pense-t-il de l'état des relations algéro-françaises ? Quel est son sentiment sur le débat sulfureux sur l'identité nationale et la mise à l'index des étrangers et des immigrés ? Quid de la relation entre les socialistes français et les partis algériens, dont le parti frère historique, le Front des forces socialistes (FFS) ?

A ces questions ainsi qu'à celle, plus générale, de la perte d'identité de la social-démocratie en Europe et en France, François Hollande apporte des réponses nuancées. Comme il sied à un présidentiable ?

Le Quotidien d'Oran: Pour les Algériens qui observent la vie politique française, il y a eu cette année en France, sous l'instigation des plus hautes autorités, un dérapage anti-étranger qui s'est manifesté par les débats sur l'identité nationale et la stigmatisation des étrangers. Ce dérapage est-il réductible à une simple instrumentalisation politique de la droite dans des perspectives électorales ? La France devient-elle intolérante, xénophobe et islamophobe ?

François Hollande: Que le mauvais débat sur l'identité nationale ait eu des arrière-pensées électoralistes, il n'y a aucun doute. Mais il faut ramener les choses à leur juste proportion. La France est républicaine. Le président Sarkozy lui-même a été obligé de battre en retraite : le ministère de l'Identité nationale a été supprimé lors du dernier remaniement. Les immigrés, dans cette affaire, ont été instrumentalisés comme boucs émissaires de la faillite des politiques économiques, sociales, sécuritaires depuis plus de trois ans. Avec les expulsions collectives des Roms, ressortissants européens, bénéficiant pourtant du droit de libre circulation dans l'espace communautaire, l'image de la France a été ternie dans le monde. Aussi, je veux rappeler avec force que la République française est attachée à la laïcité et aux droits de l'homme. Elle ne sera jamais ni xénophobe ni islamophobe.

Q.O.: La France a légiféré sur la «burqa» ou le voile intégral alors que, selon les chiffres officiels français, le nombre des femmes concernées est très négligeable. Le débat public en France et plus généralement en Europe doit-il constamment fonctionner en mettant en avant une prétendue altérité musulmane absolue? N'est-ce pas jouer la stigmatisation pour ne pas accepter de faire le constat des inégalités sociales et du délaissement économique et social des banlieues ? Le Pouvoir français fabrique-t-il «l'ennemi étranger », voire relance-t-il le thème de la « cinquième colonne » pour faire diversion sur ses échecs économiques et sociaux?

F.H.: La liberté vestimentaire fait partie des libertés individuelles à condition qu'elle ne revête pas un caractère prosélytique dans l'espace public et qu'elle ne porte pas atteinte à l'égalité homme, femme, pas plus qu'à la dignité de chacun. Ce sont les principes de laïcité qui doivent être respectés. La burqa n'a donc pas sa place hors du domicile privé mais il faudrait encore que la loi qui vient d'être votée soit applicable. Je proposerai une évaluation de son efficacité et de son utilité dès le retour de la Gauche aux responsabilités.

Q.O.: Les relations de la France avec l'Algérie sont en général en dents de scie même si les liens économiques et commerciaux restent importants. Quelles sont les raisons qui, selon vous, empêchent les relations entre les deux pays d'être stables ? Est-ce que cela relève uniquement des divergences sur des dossiers précis comme le Sahara Occidental ou la gestion du risque terroriste au Sahel, ou bien cela relève de quelque chose de plus lourd, d'une histoire commune qui continue de susciter des passions?

F.H.: Les destins de la France et de l'Algérie sont tellement imbriqués que leurs relations sont forcément complexes et restent marquées par la passion et les blessures de la mémoire. Les historiens ont réalisé suffisamment de travaux scientifiques qui doivent servir de critères objectifs pour solder ce passif du passé entre nos deux nations souveraines. Il reste que la France et l'Algérie ont un patrimoine culturel et humain inestimable en partage.

 Nos deux pays, moteurs incontournables du partenariat euro-méditerranéen, ont vocation à s'entendre pour construire l'avenir. Le conflit du Sahara Occidental et le risque terroriste au Sahel sont loin d'être des contentieux dans la mesure où nos deux pays soutiennent les résolutions des Nations unies et qu'ils coopèrent en bonne intelligence pour éradiquer le fléau terroriste.

Q.O.: Le Front des forces socialistes (FFS) est très critique à l'égard du système algérien? Vous devez en avoir discuté avec vos camarades? Partagez-vous leurs approches et leurs analyses? Est-ce qu'en tant que parti de gouvernement, les socialistes sont-ils « contraints dans l'expression » vis-à-vis de l'Algérie, pour reprendre la formule saisissante de Lionel Jospin, quand il était Premier ministre?

F.H.: Le Parti socialiste français ne s'immisce pas dans le débat démocratique entre les partis algériens. Nous avons des relations régulières et amicales avec le FLN ; quant au FFS, nous avons des relations historiques. Au gouvernement ou dans l'opposition, nous sommes fidèles au principe du parler-vrai. Nous nous efforçons d'accorder nos actes avec nos paroles, et nos paroles avec nos pensées. Nous tenons donc à tous le même discours et nous souhaitons puissamment le renforcement du lien entre la France et l'Algérie.

Q.O.: La loi du 23 Février 2005 en France a exacerbé ce que l'on pourrait appeler un « contentieux mémoriel et historique » entre la France et l'Algérie. La mise en avant « d'aspects positifs » de la colonisation a heurté chez nous. Elle a été perçue comme un signe manifeste que tous les esprits ne sont pas décolonisés.

F.H.: Le vote de la loi de Février 2005 avait légitimement indigné l'opinion algérienne mais aussi les consciences en France. Beaucoup de blessures ne sont pas cicatrisées. Certaines initiatives malheureuses venant de la Droite française jettent de l'huile sur le feu au lieu de l'éteindre. Le Parti socialiste, dont j'étais alors le Premier secrétaire, avait exigé l'abrogation des dispositions choquantes de cette loi. Le législateur s'était octroyé le droit de réécrire l'histoire à la place des historiens. Beaucoup, comme Benjamin Stora, avaient dénoncé cette tentative. Suite à la saisine du Conseil constitutionnel par le Président Jacques Chirac, l'inadmissible article 4 de cette loi a été supprimé. Aucune loi française ne mentionne aujourd'hui le « rôle positif » de la colonisation. Je tiens à rappeler qu'au lendemain du vote de cette loi, l'Ambassadeur de France avait condamné, de manière ferme, la tragédie du 8 mai 1945 à Sétif. Ce geste nécessaire était attendu depuis longtemps.

Q.O.: Avec la crise financière, les Etats occidentaux, dont l'Etat français, ont volé au secours des banques au nom de l'idée qu'ils ne peuvent se permettre de les laisser tomber sans risque pour les économies. Mais, comme il faut bien payer les factures des déficits, ce sont les citoyens qui le font à travers les politiques de rigueur. On a l'impression que la social-démocratie à laquelle vous appartenez n'a pas de réponses particulières et qu'elle pèche par conformisme.

F.H.: Depuis deux ans déjà, je développe avec mes amis, à l'occasion de colloques tenus dans plusieurs régions de France, un programme économique cohérent, crédible, réaliste pour surmonter la crise financière, résorber le déficit public, relancer la croissance, réduire les inégalités sociales. Il serait fastidieux d'en décliner ici les aspects techniques. J'entends présenter une alternative à la politique du président actuelle et je propose une démarche qui unit, réconcilie à la place d'une méthode qui stigmatise et divise.

Q.O.: Le Parti socialiste français est-il encore un parti de Gauche alors qu'un de ses candidats potentiels est le patron du FMI, institution qui a imposé sa doxa libérale coûteuse pour de nombreuses économies du tiers-monde? En quoi ces partis se distinguent-ils des partis de droite?

F.H.: Les compétences économiques et le parcours socialiste de Dominique Strauss-Kahn ne sauraient être contestés. Le Parti socialiste français est un parti démocratique. Il est composé de différentes sensibilités, unies par la même histoire des luttes pour le progrès social, par le même dévouement aux principes républicains, par les mêmes idéaux de liberté, d'égalité, de solidarité. Son candidat en 2012, quel qu'il soit, en sera le porteur.

Q.O.: Par impératif professionnel, on vous pose la question : êtes-vous candidat à la présidence?

F.H: La désignation démocratique du candidat socialiste à la prochaine élection présidentielle se fera par les primaires. J'ai déjà dit que je me préparais sans précipitation à ce rendez-vous.