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Maire ou P.apc ?

par El Yazid Dib

L'importance ne réside pas dans l'appellation. Elle est dans la charge.

Il ne s'agit pas d'un sigle d'étude notariale ou d'une officine pharmaceutique. Il est loin d'être un code barre d'un produit manufacturé dans les caves froides d'un atelier clandestin situé aux abords d'un tronçon d'autoroute. Il s'agit en fait de toute une histoire. Celle d'une ville pleine de cités, de cauchemars et de saleté. Elle a vu le jour au moment où les Grecs créaient le suffrage universel. De bouche à oreille, de main à main, telle la course de relais dans les joutes olympiques, elle s'est transmutée de génération en génération pour se répandre comme une traînée de poudre à travers toutes les urnes communales. Elle ne se raconte que tous les cinq ans. L'oubli durant l'intervalle de la souvenance est réservé dans le silence de la salle des délibérations à des règlements de comptes, à des discussions byzantines ou aux cacophonies de la tour de Babel. Trente-deux parlent, un seul les écoute.

 Le P/APC peut être aussi un petit bulletin. Sans notation ni observations d'un quelconque conseil pédagogique ou de professeurs. Les seuls critères d'identification restent des initiales, un chiffre et une date. Il était d'abord à un état de brouillon. L'on y griffonnait tout. De l'appréciation générale à l'assiduité personnelle passant par la ponctualité verbale, ce bulletin transitait comme un dossier électoral d'une instance à une autre. Tiens ! Il y une photo. Celle-ci est destinée comme une carte majeure pour ne pas confondre toutes les photos. Elle est apprêtée par avance à être lacérée, déchirée, hachée et raturée. Elle va servir pour les observateurs comme un sondage physique de l'opinion locale. Mais après que son collage eut servi de source de rémunérations aux publicistes et colleurs de spots, elle s'offrira altière et certainement souriante comme vidoir à toutes les mélancolies et les ennuis journaliers des passants peu pressés, des riverains mécontents ou des rivaux envieux et anxieux.  

Ce dernier, maire ou président d'Assemblée, n'est pas le produit de l'administration ni celui du ministère en charge des collectivités locales. Il n'est pas un fonctionnaire banal et anodin qu'un acte pourvu d'autorité administrative arrive à nommer selon une forme procédurale suite à un concours externe ni le dégommer selon une autre. Le maire est un partisan. Il émane, en principe, d'une volonté populaire. Avant cela, il constitue en fait un élément militant d'une cause et d'une idéologie. C'est au parti, le sien, à qui incombe le devoir d'assurer la formation nécessaire. Si sur le plan politique, toute personne portée sur une liste électorale était supposée remplir les conditions tacites de performance politique, il en serait autrement, la pratique le démontre; quand ce candidat devient élu et de surcroît chef d'un exécutif communal. Là le jeu est tout autre. La partie est aussi pénible que ne l'était la campagne électorale. Ce sont en effet les partis qui procréent les maires. Il suffit d'être tête de liste ou classé à proximité immédiate de cette tête pour que l'on ait la chance inouïe de devenir président d'Assemblée communale. Le peuple par son vote ne valide en fait que ce qu'il lui est proposé ou/et imposé.

 Le P/APC, autrement et il est facilement pratique de l'être, sera celui qui saura s'éloigner des problèmes. C'est-à-dire qui ne les crée pas ni participe à leur création. Il ne lui sera en aucun cas demandé de résoudre ceux qui existent déjà. Le logement et l'emploi ne sont pas des problèmes. Encore s'ils le sont, ils ne sont pas de sa compétence. Ce sont une affaire d'Etat. Que lui restera t-il donc à résoudre ? Rien. Enfin les dissidences en son sein. Les luttes de clans y compris celle du sien. Il pourra par contre éluder les obstacles impératifs dans son parcours quinquennal à défaut de motion de défiance avec retrait d'une certaine confiance mal déposée déjà en les auteurs, en veillant à garder intacte sa crédibilité ne serait-ce que sur le plan comportemental. La fonction, qui par principe engendre l'organe, ne devrait point lui faire miroiter le besoin d'adapter la fonction à sa personne. C'est l'inverse qui est vrai. Le maire étant un personnage important, à charge donc pour la personne «élue» de pouvoir rentrer dans la peau de la personnalité convoitée.

 Sur un autre registre, il ne semble pas que la commune de par sa structure basique soit en état de jouir de l'existence d'une intendance administrative et technique forte, stable et pérenne. Dans la majorité des cas, l'exécutif se prend pour l'administration. En gérant celle-ci de cette façon maladroitement «politique», l'on est arrivé à faire disparaître petit à petit tous les sens grégaires du fonctionnement normal d'une mairie. Le maire, qui se considérait le plus souvent comme un directeur exécutif de mairie, n'arrivait pas à faire la distinction entre ses fonctions d'élu et sa mission d'utiliser l'administration communale comme organe d'exécution de son programme politique. La confusion d'attributions se greffait à la bureaucratie alourdie pour laisser choir bêtement l'ensemble des projections de développement dans le hasard et le factuel. La guéguerre faisait le reste. Il perdait tout son temps à vouloir apprendre les mécanismes conformistes de la gestion usuelle en s'enfonçant de la sorte sans le savoir dans l'inutile et le non indispensable.

Le personnage du maire se trouve pratiquement impliqué dans tout ce que les lois et règlements prévoient. Il est un moyen inéluctable dans l'application multiforme de ce qu'enfantent ces lois comme droits, obligations, actes de commission ou d'omission. En sa qualité de maire, ce chef de staff, ce représentant de population, cet officier de police judiciaire, ce légalisateur, ce magistrat, cet ordonnateur a-t-il besoin de connaître dans leurs détails les dispositions de tout l'arsenal juridique et des textes réglementaires subséquents qui régissent le pays de l'arrêté de l'an pluviôse à celui nos jours ?

 Eloigné de l'acte élaborateur de lois, l'elu en chef local se retrouve démuni quand il s'agit de faire appliquer une réglementation. Il n'est jamais mis au parfum de ce qu'il va advenir de la gestion de sa commune. Même le parti, le sien, à travers ses députés n'arrive pas à créer un lien de coordination permettant au maire, de concert avec les représentants nationaux de sa corporation politique, d'être informé ou consulté sur l'initiative des lois et règlements. L'on constate en finalité que le maire est comme un Premier ministre. Il est tout, en ce presque de rien du tout. Si le président de l'Assemblée communale ne peut ni octroyer un lot de terrain, ni attribuer un logement social, ni dégrever un impôt, ni passer outre un procès-verbal, que lui reste-t-il donc comme attribution à même de légitimer sa «légitimation» ? Nettoyer les rues et les boulevards ? Gérer la zizanie ? Confronter les émeutes ? Détruire l'habitat dit précaire et encaisser la colère populaire ? Maire ou président d'Assemblée, il est un personnage hybride non encore défini. D'origine politique, il exécute le plus souvent sans moyens les ordres d'une tutelle administrative. Administratif, il est soumis, à l'instar des fonctionnaires gestionnaires, aux règles de la comptabilité publique. Sa responsabilité reste entière en tous domaines, sauf en matière politique. C'est ça justement tout le paradoxe de ce mal-élu.

 Peut-être avec la nouvelle mouture du code communal et du code de la wilaya, les pouvoirs publics, sinon le législateur, donneront plus de tonus à la charge du maire.