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Ces gens humbles à qui nous devons tout (1)

par Sid Lakhdar Boumediene

Ils n'avaient pas beaucoup d'instruction mais combien en avaient à cette période ? Leur seul épanchement était de saluer avec un grand sourire.

Les ouvriers en tenue bleue de Chine, les vieux avec leur turban et les employés avec leur costume qui n'avait pas pour but de coller à la dernière mode mais seulement de paraître aux yeux des autres avec dignité.

Ce sont à eux que nous devons tout, les études, le luxe de l'insouciance de la jeunesse et plus tard une vie professionnelle qu'ils n'auraient jamais eu l'idée d'espérer.

Ils avaient la démarche de ceux qui portaient le fardeau d'un dur labeur, sans jamais se plaindre car ils rendaient grâce au ciel de leur donner les moyens de subsistance. Juste ce qu'il fallait, sans prétention ni jalousie envers ceux qui avaient compris combien l'époque était propice aux plus malins pour gagner en un seul mois ce qui leur aurait coûté une vie de travail pour l'atteindre.

Certes, certains avaient le sens de l'argent et les très rares qui parvenaient à la richesse, elle était la garante de leur existence, pas le porte-drapeau de leur prétention.

C'est à eux qu'on doit tout et à personne d'autre. Ils ont notre reconnaissance éternelle et nos excuses de les avoir moqués, croyant que notre instruction et notre modernité vestimentaire et culturelle nous faisaient vivre dans une autre humanité.

Il avait fallu grandir pour comprendre qu'ils l'avaient au fond de l'âme, cette humanité. Pas besoin d'études poussées pour y avoir sa place aux premiers rangs.

Leurs visages étaient marqués par le labeur, souvent au-dessus d'un corps voûté par le travail et qui n'avait jamais connu le sport ni même en avoir eu l'idée d'en faire.

Nous avons mis des décennies pour nous construire et comprendre véritablement le monde et le sens de la vie. Leur sourire devait cacher cette malicieuse certitude qu'ils avaient compris le sens du travail dès leur plus jeûne âge. Car dans leur situation humble, le sens de la vie s'invitait très tôt à leur connaissance.

Nous n'étions pas riches, loin de là, mais nous pensions pourtant être bien au-delà du niveau financier de ces gens humbles. Nous n'avions pas compris que leur richesse était immensément supérieure à la nôtre qui n'était faite que de prétention et de léger mépris. Ils nous ont faits et je voudrais leur rendre hommage à travers quelques portraits dans les prochaines rubriques. Ils ne sont certainement plus de ce monde mais ils m'entendront dire des mots qu'ils ne comprendront pas comme une moquerie mais comme une grande tendresse à leur égard. Car ils n'avaient pas besoin de faire de hautes études pour savoir que l'humour permet aux êtres humains de camoufler leurs sentiments. Ils en étaient les maîtres.