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L'équation ukrainienne

par Kamal Guerroua

D'aucuns regardent toute cette guerre en Ukraine avec perplexité, non en raison du problème du blé qui pourrait en résulter, impactant l'équilibre alimentaire à l'échelle de la planète, mais surtout pour toutes ces centaines de milliers de morts, de mutilés, de déplacés, de réfugiés, avec tous les dégâts matériels et moraux y afférents. Tout cela, au niveau du raisonnement humain, peut facilement se comprendre, mais au niveau de l'analyse de géostratégie globale, non, hélas ! Les Etats occidentaux, quoique sourcilleux sur la question des droits de l'homme, s'en foutent. L'essentiel, il faut arriver à approvisionner en hiver l'Europe en gaz naturel, et qu'à terme, il y aura circulation maritime normale pour les bateaux de blé. Le reste, quoi qu'on en dise sur les plateaux télévisés, n'est pas forcément inscrit à l'ordre du jour des grandes puissances de ce monde. Car, à côté, il y a le marché juteux des armes.

Les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, etc., s'ils courent pour prêter main-forte à l'Ukraine, ce n'est pas gratuit. Le message peut être interprété de cette manière : «On vous livre des armes pour que vous combattiez les Russes «nos ennemis» (qui sont, faut-il encore le dire, militairement invincibles sur le terrain), et en contrepartie, on vous devrait des sous. Autrement dit, «on vous fournit des avions, des chars, des blindés, des missiles pour que vous défendiez, ou plutôt détruisiez votre pays et vous allez nous payer par la suite pour notre soutien».

A présent, l'Ukraine fait le boulot que devrait faire l'Europe contre la Russie, devenue puissance émergente dangereuse aux frontières du vieux continent. Elle lui sert d'intermédiaire dans sa guerre. C'est ce qu'on appelle en anglais «Proxy war» (guerre par procuration). Mais pourquoi l'Ukraine fait-elle ce boulot ? Parce que c'est un pays faible qui ne pèse pas assez devant les grandes puissances. Et quand un pays ne pèse pas sur le niveau géostratégique, il devrait obéir au doigt et à l'œil aux puissants. Il devient même leur jouet circonstanciel. Si, par exemple, le président Zelensky avait, dès le départ, décidé de rallier le camp russe, les Européens auraient sans doute imposé un embargo économique sur l'Ukraine et les conséquences auraient été aussi désastreuses que les bombardements intensifs de Poutine sur Kiev. Dans l'impasse, le régime ukrainien est sommé de céder aux chantages des uns (les Russes) et des autres (les Européens), au risque de subir un forcing militaro-économico-diplomatique qui l'effacera à terme de la carte politique de l'Europe. Sur un autre niveau se pose la question de la sécurité européenne, dont l'Ukraine, sise aux frontières de la Russie, sert de point névralgique. Toucher au territoire de l'Ukraine pour la communauté européenne, c'est comme menacer l'existence même de l'Europe, comme pôle stratégique influent.

Mais, un problème resurgit : que signifie vraiment le concept de la solidarité européenne ? Imaginons, par exemple, que des Britanniques, des Américains, des Allemands meurent chaque jour sous les bombardements russes, aura-t-on la même réaction de cette Europe, à laquelle veut appartenir l'Ukraine ? Jamais ! C'est là que le bât blesse !