Le pays dort encore et son hibernation va durer jusqu'à
avril. Le compte à rebours, par contre, n'a pas encore été enclenché et tout le
monde s'accorde à dire qu'il ne faut surtout pas réveiller la bête immonde qui
sommeille derrière les yeux clos du peuple. Chut, pas de bruits, on ne respire
même pas, faites comme vous voulez mais l'expiration forte et sonore est
passible de trois mois de prison. Alors si vous pouvez, arrêtez de respirer
pour leur bien. La télé est éteinte, le journal interdit de parution, la parole
confisquée et la liberté emballée dans du plomb et jetée au fond du puits où
Ayache a rencontré son Dieu. La responsabilité est énorme et le sentiment de
culpabilité offert comme une médaille d'honneur. Les gardiens du temple, les
apprentis sorciers, la garde prétorienne, les hommes du pouvoir avertissent que
le moindre soubresaut peut être fatal à l'équilibre cosmique et qu'un simple
éternuement à Ouargla peut provoquer un cancer à Alger. Le décor est planté et
il a la simplicité d'un décérébré derrière le clavier de son ordi prêt à
aligner le monde. Laissez toute chose dans son état, n'essayez pas de trouver
des solutions aux problèmes du jour, ne vous laissez pas tenter par le côté
obscur de la contestation car là-bas vous allez rencontrer la main hideuse de
l'étranger. Continuez à avoir confiance en vos gouverneurs et si c'est
au-dessus de votre volonté, alors prenez un billet pour la Méditerranée et
noyez-vous si vous en avez l'occasion. Voilà en gros le message à transmettre
pour le salut de ce pays qu'on voudrait voir dormir même après avril, pour
cinquante ou soixante autres années en option. Lui chuchoter une bonne nuit
mortelle à l'oreille et le couvrir d'un linceul. Continuez à roupiller, à
ronfler et à rêver à la liberté, à une blonde lascive, à un pays démocratique
où parler de ses convictions n'est pas forcément une déclaration de guerre ou
un acte de trahison. Et tant que le rêve est un tir à blanc, gratuit, contrôlé
et sans risque de contagion, alors dormez encore deux siècles de plus et
laissez-nous faire nos affaires. Laissez-nous fructifier l'argent volé, saigner
les flancs de ce pays, enrichir notre nom pour dix-huit générations à venir et
lorsque l'heure du réveil approchera, nous vendrons les lambeaux de ce qui
restera de ce pays. Le réveil sera brutal en avril ou dans un autre monde et si
rien n'aura changé, c'est que vous êtes toujours dans votre lit, profondément
plongé dans un coma moelleux. Bonne nuit !