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Option morbide

par Moncef Wafi

L'Algérien meurt. Presque de tout. Enfin de rien. Chaque jour qui meurt emporte avec lui son lot de cadavres nationalisés, son quota de linceuls récolté sur la table des légistes, au bord des routes et au bout de la bêtise humaine. L'Algérien meurt de plus en plus par la faute de son frère, un fou du volant, un psychopathe au couteau, un assassin qui s'ignore. Plus qu'un constat fait au quotidien en feuilletant les pages de faits divers, la violence est devenue un simple détail meublant le rythme de la vie. Une fatalité qui vous poursuit, en descendant les escaliers, en sortant de votre immeuble, en traversant la chaussée, au détour d'une ruelle. La mort au rabais est le nouveau slogan pour des Algériens dont la vie ne vaut plus grand-chose si ce n'est le prix d'une arme blanche ou d'un permis de conduire de complaisance. La mort s'est habillée d'une banalité affligeante, à faire frémir les plus sordides, puisqu'on meurt à chaque coin de rue, le long d'une ligne continue, dans son sommeil ou assassiné un jour sans date. Le pays est devenu, à force, une jungle où la loi détale au premier rugissement du lion, de son fils ou de la cour. L'Algérien ne se cache plus pour mourir, il le fait en plein jour, sous le soleil de Dieu et devant la loi des hommes, impuissant face au déchaînement des instincts les plus meurtriers. On meurt sur cette terre en sortant d'un terrain de football, en se promenant avec sa copine, en essayant de défendre son honneur. L'Algérien meurt et son reflet le trucide parce qu'il n'a plus peur de plonger la lame du couteau dans le cœur. Il ne craint ni la prison ni les textes d'une loi obsolète qui condamnent un joint et qui relaxent un ripou. L'Algérien meurt et son frère le regarde crever la bouche ouverte, fier de l'avoir occis, sans remords ni reproche. Un frère qui n'a pas peur de mourir parce que la loi ne tue pas même si elle fait semblant. On condamne à mort et puis c'est tout. La mort, on l'attend derrière les barreaux. Elle peut être là dans deux jours comme dans trente ans. Dehors, l'Algérien meurt plus vite que la détérioration de l'autoroute, plus sûrement que les mensonges de l'Etat. Guerre des gangs, génocide bitumé, agressions, passages à tabac mortels, suicide, toxicomanie, une balade en mer? tout est prétexte à tuer physiquement l'Algérien. Finalement, cette violence ne serait-elle que le fruit d'une politique d'Etat qui s'est établie sur la haine et la rapine ?