Se
dérober de la réalité accablante, qui menace économiquement le pays, est
aberrant. Ceux qui raisonnent dans cet état d'esprit sont de tenaces
mystificateurs. Les gens sont distraits et ils ont la tête dans les nuages. Ils
s'expriment avec des propos délirants pour essayer de nous faire rigoler avec
de piètres histoires décalées. Ils débitent des âneries quand leur esprit se
promène ailleurs. Ils font de grosses bêtises au moment où on ne les attend
pas. Quand ils engagent une discussion au milieu du groupe, ils agissent comme
de grands dadais attardés. Ils déraillent et racontent des énormités qui
déclenchent le fou rire devant la foule. Nous vivons une époque stupide. « Er'djel tahdar âla khyyoul ha, ou Kaddour yehdar âla h'marou ». (Quand les hommes
parlent de leurs étalons, Kaddour parle de son âne),
nous rappelle l'expression populaire. C'est vrai qu'il faut un peu de tout pour
faire fonctionner ce monde absurde. Ces dérangés sont bizarres, ils manquent
d'intelligence. Ils sont imprévisibles et il n'y a pas de garde-fous pour les
empêcher de faire des bêtises. Ces zinzins-là, il y en a beaucoup dans les
rues, dans les bureaux et même dans la haute sphère politique. On dit qu'il y a
mieux à faire que d'écouter les rêveries d'un autre siècle, que même le carbone
14 n'arrivera pas à déchiffrer. L'intelligence est une substance rare en voie
d'extinction qu'il faut protéger contre la fatale ignorance. Pour avoir une
idée sur les exploits de ces faibles d'esprit, il suffit de faire un tour sur
les réseaux sociaux ou bien les chaînes satellitaires et de jeter un coup
d'œil, pour être au courant de la dernière maladresse politique. Il faut avouer
aussi que ces personnages sont un régal lorsqu'ils s'invitent pour distraire
les instants mélancoliques que vit le pays malgré lui. Le territoire ne coule
plus de jours heureux comme auparavant, et la vie publique dégage une odeur de
renfermé. L'esprit a perdu sa sagesse d'antan et depuis, la médiocrité a
prospéré et s'est amplifiée grossièrement grâce aux grosses bêtises. L'heure
est propice aux tarés qui se glorifient au milieu des drapeaux et des grands
posters et se jettent des fleurs fanées chargées d'hypocrisie. Les espaces de
vie se sont rétrécis soudainement et les petits morveux se font dominants et
insultants. Quant au troisième âge, il est toujours insatisfait et refuse de
parler d'alternance. Il affiche indécemment son désir fou d'un éternel
inassouvi. Le présent est devenu lourd et ne respire plus la joie qui
nourrissait notre bonheur autrefois. L'heure est insolente et la vie n'est pas
beaucoup rassurante. Les serviles sont sur le qui-vive dans ces moments de
razzia. L'amitié n'est plus chaleureuse comme hier, elle est occupée à faire et
défaire les affaires scabreuses. Dans notre langage populaire, on désigne ces
extravagants de « kherrara » qu'on trouve dans les
souks hebdomadaires. Des moins que rien qui parlent sans limite et qui n'ont
aucun sens de la retenue. Ils blessent et provoquent gratuitement leur prochain
uniquement par instinct malveillant. C'est toujours eux qui ont raison et les
autres ont tort. Entre les actifs et les passifs, c'est une guerre de
générations. Ainsi va la vie chez Kaddour, le
propriétaire de son âne, qui ne voit pas ses défauts, mais ceux des autres.
Quand il dit des choses, c'est pénible pour les entendeurs malchanceux qui
l'écoutent. Il serait plus judicieux de ne pas faire de politique, lorsqu'on
est né sous une mauvaise étoile?