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Amère pilule

par Mahdi Boukhalfa

Décidément, l'Algérie semble otage de puissants lobbies. Son économie l'est encore plus. Au point que l'APN devienne une caisse de résonance, un lieu de batailles feutrées, si ce n'est un poste avancé pour certains centres d'intérêts pour faire barrage à toute tentative de l'exécutif, sinon de l'opposition, de remettre le train sur les rails. Avec le rejet du projet de loi de l'impôt sur la fortune contenu dans le PLF2018, c'est un autre bastion de la justice sociale dans le pays qui tombe. C'est surtout un autre moyen démocratique de récupérer le trop-plein de profits engrangés par les milieux d'affaires, de ne pas être redistribué à la collectivité sous forme de financements de constructions scolaires, de routes, d'éclairage public.

 Le retrait du projet de loi portant impôt sur la fortune par les membres de la commission des finances à l'APN, quels qu'en soient les motifs, est un signe évident que l'APN est l'otage du pouvoir de l'argent. L'abandon de cet impôt, retiré avant même qu'il ne soit proposé à débats, révèle autrement que l'APN n'est pas indépendante, qu'elle n'a jamais été indépendante dans ses décisions et ne sera jamais le garant et le rempart de la démocratie dans notre pays. Car, au lieu de retirer ce texte, dans une forme de ?'casse'' politique en l'empêchant d'arriver sur les pupitres des députés, il aurait été plus intelligent, dans un suprême effort de démocratie parlementaire, de laisser les représentants du peuple se prononcer. Et non le retirer en commission sur de fallacieux prétextes, alors que des informations fuitées parlent d'injonctions émanant de lobbies proches du patronat qui ont été données aux membres de la commission pour retirer le texte et le mettre au placard. En attendant, la mise en place d'une administration capable d'exécuter cette ?'loi''.

 Mais, dans l'intervalle, c'est bien le Premier ministre qui a introduit ce projet de loi portant impôt sur la fortune, pour renforcer la justice sociale, qui est désavoué. Ahmed Ouyahia a-t-il été trahi, sinon lâché par le lobby des affaires ou n'a-t-il pas tenu compte de certaines lignes rouges à ne pas franchir ? Déjà, l'impôt sur le patrimoine n'a jamais été bien appliqué, alors le remplacer par un impôt sur la fortune avec un barème des taxes revu à la hausse, et qui a pris la forme d'une chasse aux grosses fortunes, ne serait pas passé de toute évidence, même s'il n'aurait pas dû connaître un tel sort. La logique aurait voulu, encore une fois, que ce projet de loi soit soumis en plénière pour examen et débat. Le retirer de cette manière explique à quel point les coulisses du Parlement sont noyautées par le pouvoir de l'argent. Et cela n'aurait pas dû provoquer un tel dénouement pour une politique sociale que le Premier ministre voulait naïvement mettre en place pour amortir le choc des hausses inflationnistes que son plan d'action va provoquer, notamment avec le recours à ?'la planche à billets''.

 Ouyahia, en quelque sorte, s'il n'a pas lui-même joué à cette partition, va amortir le choc sans broncher. Ce ne sera une bérézina que pour les contribuables qui devront faire face aux hausses annoncées des carburants, de l'électricité, des tarifs des transports. Et du coût de la vie. Car au moment où la commission des finances de l'APN a retiré le projet de texte de loi portant impôt sur la fortune, les propositions de hausses contenues dans le PLF 2018 sont passées et passeront comme « une lettre à la poste » lors du vote général. Un autre scandale politique qui ne fera que rendre la pilule encore plus amère pour les bas salaires.