La
tempête n'est pas encore passée. Pour 13 millions d'Algériens, le mauvais temps
risque de durer, avec ses désagréments. C'est le temps de l'Internet, avec des
tempêtes virtuelles catastrophiques. Car en Algérie, il y a des Algériens qui
se préoccupent des prix de la ?'patate'', ceux des prix de la voiture, d'autres
des lots de terrain, d'autres encore des tarifs du taxi-brousse vers
Ouagadougou, et maintenant une communauté virtuelle d'Algériens qui se
préoccupent de la bonne santé de leur monde, l'Internet. Et ces derniers jours
et ceux qui suivent ne sont pas vraiment une sinécure, ni des moments de joie
avec ces coupures ou de baisse de débit de l'Internet. Tous les mordus du Web
ne vivent pas seulement pour les réseaux sociaux, ou veillent à des heures
indues pour terminer des discussions interminables de troisième génération, non
! Il y a ceux qui travaillent en utilisant cet outil pour se connecter au
monde, pour gagner leur vie et faire fructifier leurs affaires, pour acheter et
vendre, pour s'informer sur ce qui se passe ailleurs, pour guérir des patients,
pour rester éveillés de peur de rater quelque chose qui se passe quelque part
dans quelque pays de la vaste planète Terre. Les travaux de sécurisation de la
partie algérienne du câble sous-marin ?'ME-WE4'' ont provoqué un tollé sur la
toile, un débat irréel, du même type que la grande peur du ?'bug'' de la fin
des années 1990 et l'avènement de l'année 2000. Ailleurs, c'était vraiment une
peur réelle, une vraie angoisse car elle impliquait des pertes financières qui
se chiffraient en milliards de dollars. Mais chez nous, hormis les utilisateurs
professionnels, une coupure ou une rupture momentanée de quelques heures de
l'Internet pouvait-elle nourrir autant d'appréhension ? Autant de débats à un méga-parsec de la réalité des Algériens?
Non, tout compte fait, cette coupure, allez, disons le ralentissement du débit
de l'Internet avec blocage des OTT et des réseaux sociaux aura rendu service
aux Algériens virtuels. L'espace d'un vendredi ensoleillé, ils sont sortis de
leur cocon et ont pris connaissance que le vrai printemps est là. Que les prix
des aliments qu'ils ingurgitent sans faire attention, entre deux clics de
souris, sont en surchauffe, tout comme leurs ?'ordi'', et que dehors, une
soixantaine de partis se disputent les voix de 21 millions d'Algériens pour
aller prendre une retraite dorée, ou une mise en disponibilité bien payée, à
l'ombre des travées du Parlement. Avec un peu de différence, dans le fond
surtout, 13 millions d'Algériens, si on se réfère à une étude récente, accros à
Internet, ont peut-être réappris le goût de la vie, de voir ses amis, de sortir
au grand jour, l'espace d'une journée ?'sans'' aller au Web. Comme dans l'année
1965 du siècle dernier, lors d'un fameux black-out à New York. L'année d'après,
il y eut beaucoup d'enfants. Comme également dans cette même ville en 1977, un
black-out total a fait naître le Hip Hop, et des milliers de jeunes sous les
verrous. Le black-out à nous est virtuel, il se passe dans un autre monde, et
il n'est ressenti que par 13 millions d'Algériens seulement, les autres,
heureusement, sont occupés ailleurs. Au moins la moitié de la soustraction des
13 millions d'internautes des 40 millions d'Algériens officiels ne connaît ni
l'Internet ni le monde virtuel, encore moins Facebook ou le paiement
électronique de la facture de Sonelgaz. Cette frange
d'Algériens, qui vit de peu, qui est coupée de tout, est comme une communauté
en passe de disparition, de celles dont on parle dans les manuels scolaires ou
dans les cafés des rues urbaines branchées, comparativement à la seconde moitié
d'Algériens de la même opération de soustraction. Cette frange d'Algériens est,
quant à elle, la proie quotidienne des réseaux de contrebande, qui ont
aujourd'hui investi les territoires du commerce agricole, bien plus lucratif et
sans grand danger que le commerce de la drogue, en passe d'être démodé.
L'Algérie version 2.0.1.7 est ainsi faite, de hauts et de bas débits. Dans le
commerce comme dans le trafic en tout genre, même de l'Internet.