Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Sacrée banane !

par Mahdi Boukhalfa

La banane est de retour!

Elle est de nouveau sur les étals, moins chaude, plutôt tiède. Entre 500 et 400 DA/kg. Elle sera dans les prochains jours encore plus accessible, promettent les experts agricoles, mais pas les courtiers en produits agricoles. Et, depuis plusieurs semaines on ne parle que de bananes, dans les chaumières, les cafés ou les marchés.

Car elle a pris des allures de star. Et même au plus haut du gouvernement, puisque c'est de là que la crise de la banane a été résolue avec le déblocage des importations. C'est dire que nous sommes devenus férocement des consommateurs d'un fruit que nous ne produisons pas. Et qui ne nous apporte pas plus que l'orange, la pastèque ou la pomme question qualité nutritive ou du côté du porte-monnaie.

En 1994, juste après la conclusion de l'Uruguay round et la naissance de l'OMC, à Marrakech, j'avais candidement posé la question de ce que vont devenir les PVD à l'ancien commissaire européen au Commerce, Leon Brittan, à savoir «y aura-t-il une vie pour les PVD avec l'OMC». Lui, m'a fait répéter la question deux fois, visiblement mécontent de cette question, alors que les envoyés spéciaux de médias du monde développé avaient failli s'étrangler et m'avaient chahuté. Motif: ma question était à des années-lumières de leurs préoccupations, à savoir le partage du marché de la banane en Europe, et les gros profits qu'il génère pour les puissantes compagnies fruitières. L'Allemagne, plus grand consommateur de ce fruit exotique en Europe (45,4%), a investi dans des latifundia en Amérique centrale pour concurrencer les plantations américaines dans la région et la «banane CFA», c'est-à-dire la banane produite dans les pays ACP, les pays francophones, le Cameroun et la Côte d'Ivoire principalement. D'où l'appellation «banane-CFA», par opposition à la banane produite en Amérique centrale et du sud, dite «banane dollar» car ces plantations sont la propriété des grandes multinationales fruitières américaines et allemandes. Donc, le marché de la banane représente des intérêts colossaux, pas seulement économiques, ou commerciaux. La banane-CFA, intégrée dans les accords de Lomé, un stratagème commercial de la France pour protéger sa zone politique d'influence en Afrique, Caraïbes et pacifique (ACP) coûte ainsi plus cher que la banane-dollar, produite à bas coût dans les plantations centre-américaines ou dans les Caraïbes. C'est du protectionnisme commercial. Et c'est cette satanée banane qui a fait des milliers de kilomètres, engraissé des latifundistes, alimenté des chroniques médiatiques et mobilisé les négociateurs de l'OMC pour éviter des situations de monopoles et de dumping commercial, qui nous est proposée à des prix indécents. Alors que les riches producteurs américains et européens, tout comme leurs lobbies commerciaux, sont soutenus par leurs gouvernements, qui font du protectionnisme commercial sans que l'arbitre mondial, l'OMC, ne bouge le petit doigt. Et nous, avec nos quelques misérables millions de dollars, on va candidement dans ce marché de requins, qui brasse des centaines de milliards de dollars, acheter quelques tonnes de bananes pour que nos enfants ne pleurent pas. Jamais la banane n'a fait autant parler d'elle que durant ces dernières semaines ; depuis qu'un obscur lobby s'est emparé du couffin des Algériens, et leur impose, comme l'a fait Pavlov avec son chien, ce qu'il veut.

Un jour la pomme de terre, un autre la tomate. Aujourd'hui la banane, et au ministère du Commerce, on ne pleurniche plus sur la perte de devises en achetant ce fruit. Car ici, le protectionnisme commercial, c'est encore la terre en friche. Quant aux Algériens, ils mangeront toujours de la banane par procuration.