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Au bout du SKD et le CKD, l'esbroufe

par Mahdi Boukhalfa

Grande déprime citoyenne en cette année 2017. Il y a d'abord la déception de ne pas pouvoir acheter une voiture neuve ou d'occasion à son juste prix avec la baisse des quotas des licences d'importation de voitures. Et, pour ajouter à la confusion ambiante, spécialistes et gouvernement sont descendus dans un garage mécanique pour régler leur différend sur la voiture «made in bladi».

Comment ne pas désespérer de recouvrer la paix morale et goûter à une retraite bien méritée quand le prix de la voiture d'occasion frôle celui du neuf sur les marchés hebdomadaires? A kilométrage identique pour une année d'immatriculation semblable, un véhicule sorti d'usine vaut le même prix que celui vendu sur le marché de l'occasion. En cause, une baisse par deux des quotas d'importation de véhicules. Et, comme les opportunités sont rares de bien dépenser son argent dans notre beau pays, la seule opportunité qui s'offre aux Algériens s'évapore. Car hormis un «tacot», neuf ou «d'occase», on ne peut que rarement acheter une barque ou une barcasse pneumatique, pour aller se perdre en mer, le temps d'oublier les déboires de la vie sur le plancher des vaches. L'abandon de l'achat d'une voiture est également lié à la brusque flambée des produits de large consommation en général et à une inflation qui atteint doucement et sournoisement les deux chiffres, qui fait que la vie devient de plus en plus chère dans notre pays. Et donc acheter une voiture dans ces conditions est du pur suicide social.

Le gouvernement a sûrement étudié ce cas psychosocial de la relation de causalité entre la hausse du prix de la tomate et l'impossibilité pour les bourses moyennes d'aller au-delà du marché des fruits et légumes vers celui coûteux et ruineux de la voiture. C'est sûrement en fonction de ce paramètre cosmique que le ministre du Commerce et son homologue de l'Industrie ont décidé que les Algériens ne doivent pas acheter des voitures importées. Et lui imposent ces voitures «SKD», «CKD», «Tournevis» et même artistiquement trafiquées pour échapper à l'œil vigilant de la surveillance des experts aux frontières. C'est ainsi que les Algériens, devenus par la force des choses et de la baisse du prix du baril, consommateurs de tout ce qui est étranger à la culture et le savoir, des «zombies» de la consommation, comme dans ces satyres de Boris Vian, ne vont plus acheter que des voitures montées dans leur pays. Qu'elles soient importées en l'état avec juste quelques boulons que des clés à étoile ou à griffe peuvent mettre en place pour créer l'illusion d'une voiture «made in bladi» ou montées dans le style du taylorisme du début du siècle dernier, cela ne changera rien à l'équation originelle. Qui est de savoir quelles sont les limites de ce que peut endurer et supporter, dans un contexte de rareté de produits de base et donc d'une insupportable inflation, un consommateur made in Algeria. D'autant que ce même consommateur algérien a horreur qu'on lui fasse prendre des vessies pour des lanternes.

Bien sûr, il est bon consommateur, achète sans rechigner, même au prix fort, mais il y a une chose qu'il ne peut supporter: qu'on le mène en bateau indéfiniment. Les temps sont durs, les perspectives moroses, et l'horizon pas tellement bleu et gai.

En attendant une embellie sociale ou même, tiens, économique, il y aura toujours des termes énigmatiques, SKD, CKD, TVA, licence, contingent, tarifs, qui feront leur boulot, celui de détourner les Algériens de la réalité crue des choses. De leur existence, de leur avenir.