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Chronésie, les hommages posthumes

par El Yazid Dib

Chronésie est un terme tout à fait inédit. L'auteur n'est autre qu'un créateur de mots, un ciseleur de pièces poétiques et journalistiques. Azzedine Mihoubi. Chronésie, est le « khalitt » de chronique et de poésie. Lui en voulant, lui et bien d'autres de même rang, de ne prêter attention envers les artistes, poètes, journalistes, hommes politiques et autres personnalités qu'une fois disparus, je l'interpellais si cela nécessiterait une chronique ou une poésie ? Une Chronésie me taquinait-il. Elle est là, cette Chronésie.

Que de gens sont partis sur la pointe des pieds sans pouvoir vous dire : attendez que l'on crève et faites de nous des héros. Des sommités, des génies, des inégalés. Attendez que l'on crève et rendez-nous les honneurs, ces takrimates vides et dépeuplées. De nos cadavres, tirez-vous en des gloires et des trophées. Faites-vous décorer par nos étoiles qui ne brillent plus et aveuglent vos iris. Nos âmes seront tels ces fantômes qui viendront chatouiller le duvet de vos oreillers et réveiller en vous les soupçons des missions inaccomplies. Elles hanteront vos nuits et désempliront vos mondes. Ni vos discours, ni vos condoléances ni même vos fausses larmes ou vos émotions contrefaites n'animeront nos dépouilles. Attendez que l'on crève et consolez par écrit nos épouses. Un titre, un papier cadré bien encadré et doré vous rendra utile de le discerner à nos bambins qui ne savent pas ce que cela signifie. Vous leur palperez le crâne, leur fournirez un sourire et leur direz : votre défunt était? était?

Attendez que l'on crève et exhumez nos corps et venez embaumer nos tombes oubliées sur les collines escarpées. Faites, Messieurs, de nos noms effacés et de nos gloires éteintes vos profils et enjolivez-vous de nous avoir rendu grâce et mérite !

Honorer un mort est une œuvre de rattrapage, un rappel de soi, un mea-culpa d'une irresponsabilité. Car si ce mort l'était de son vivant, le mérite n'aurait été qu'un regard direct et droit les yeux dans les yeux. Attendez que l'on meure et venez grandir le jour de nos enterrements. Il est préférable et digne de nous dire bonjour maintenant que de psalmodier une oraison funèbre ou réciter de longs éloges à notre mémoire. Lorsqu'on crèvera, le monde ne se refera pas, il persistera à vous enorgueillir. Seulement qu'avec notre crevaison, toutes les illusions se crèveront et vous avec.

Attendez que l'on crève et érigez-nous des stèles et de grosses enseignes tombales. Marquez-y, ici repose flen et passez vos paumes sur vos joues et dites Amen ! Non que non ! Nous porterons nos épitaphes en nos seins, dans nos plumes et pinceaux. C'est de votre mégarde, de vos lugubres goûts d'honorer les morts que l'on garde intacte notre culture mortifère. Nous mourrons comme vous, quand vous êtes nés anonymes. Nous survivrons à vos offices et vaincrons les oublis et tous les vices. Vous ne nous ensevelirez pas dans vos pages. Attendez que l'on crève et garnissez de nos visages décharnés et nos œuvres flétries vos aires, salons et palais de culture.

Nous ne sommes vivants que par la nourriture, l'eau et la clémence de Dieu. L'agonie nous est une note musicale pour la symphonie du grand départ. C'est dans nos taules et taudis que vous voyez nos vies et dans nos œuvres vos tourmentes. Nous sommes déjà morts ; rompez les rangs !

La Chronésie est ainsi close comme une poésie à moitié versifiée ou une chronique semi-rapportée.